Personnage énigmatique de Dishonored, L’outsider peut-être considéré comme le deutéragoniste de la saga. Ni allié ni ennemi, il semble connaitre les tenants et les aboutissants de la vendetta de la famille impériale Kaldwin. Humain sacrifié puis dieu mortel, l’Outsider a de quoi fasciner. Cet épisode de Charanalyse a pour thématique l’Etranger.

Dans Dishonored, l’Outsider apparaît rapidement mais il demeure une figure lointaine et mystérieuse, ce n’est que dans le deuxième volume de la saga que ses origines sont en partie dévoilées1. Toutefois, c’est avec Dishonored: Death of the Outsider que les questions sont (trop?) partiellement levées. Dans les jeux, l’Outsider n’apparaît que peu de fois, mais chacune de ses apparitions sont marquées par l’ambiguïté: confier des pouvoirs aux protagonistes pour voir l’usage qu’ils vont en faire, dévoiler le passé pour mettre en avant la complexité du monde ou même faire douter le joueur de ses choix.

l’incarnation de « l’étrange étranger »
L’historien Marcel Detienne qualifie Dionysos d' »étrange étranger » et bien que dans leurs manifestations, l’Outsider et Dionysos soient très différents (notamment au niveau du caractère lubrique) tous deux partagent de nombreux éléments en commun. Tout d’abord, ils sont nés deux fois, en effet, avant d’être un dieu, L’Outsider a été un humain, sacrifié par des sectaires pour l’offrir au Grand Vide2 quelques 4 000 ans avant le début de l’histoire. Tout comme le dieu grec, l’Outsider transcende l’Homme mais reste mortel et les deux sont rattachés d’une manière ou d’une autre à la folie. Un autre aspect peut-être lié à la Grèce antique est ses yeux : entièrement noirs, ils ressemblent aux yeux aveugles des aèdes qui ont sacrifié la vue pour avoir accès à une vision plus large, dans le temps et l’espace.

Cependant, l’Outsider ne limite pas à une copie de Dionysos; il possède un lien très important avec le temps. Le jeu se passe pendant une révolution industrielle steampunk3 et l’Outsider apparaît en premier lieu comme un témoin du passé en lien avec une tradition animiste et le monde des légendes (et du songe). Son rapport au passé se traduit aussi par le lien entre les baleines et le Grand Vide; la mise à mort en masse des baleines pour l’industrialisation les rattachent au passé. Cependant, peu à peu, le lien avec le passé disparaît au profit d’une nouvelle conception du dieu: il est en fait lié au passage du temps. Bien qu’il puisse avoir un certain don de divination, l’Outsider ne connait pas le futur de manière certaine et s’intéresse par conséquent à ceux qui écrivent l’Histoire -que ce soit Corvo, Emily, Daud, Delilah ou Billie, ils sont des nœuds dont dépend le futur4– Il confie alors à de rares individus sa marque, c’est-à-dire ses pouvoirs pour étudier leur comportement et les mettre face aux conséquences de leurs actes; comme le souligne Daud, épuisé par le regret : « les cadeaux de l’Outsider ont un prix, mais on ne s’en rend compte que trop tard »5. L’outsider donne les outils du changements, il ne dépend qu’aux individus d’en faire un bon ou un mauvais usage. Cet intérêt pour l’évolution est aussi visible par l’absence de considération qu’il a envers les membres des cultes du Grand Vide: leur foi ne sert à rien, ils sont incapables de mettre en branle l’Histoire et ne bénéficient donc pas de la marque. On retrouve le lien avec le passage du temps grâce au « cadeau » qu’il nous fait dans Dishonored 2 :le Pendule de l’Outsider qui permet de naviguer entre le présent et le passé et de modifier le ours du temps. Ce cadeau n’est pas le premier à être lié au déroulement du temps puisque Corvo peut ralentir le temps avec son don « Pli Temporel » et même l’arrêter avec un autre. De plus, les incursions du Grand Vide dans le monde mènent à des anomalies temporelles qui ressemblent à des glitchs graphiques. Ce qui fascine (à mon gout) le plus dans la figure de l’Outsider, c’est l’entre-deux qu’il incarne, il est un dieu trompeur aux attributs changeants.

L’Outsider est le Verbe

En plus de sa parenté avec Dionysos, l’Outsider a aussi un lien avec le Dieu juif6, leur pouvoir se traduit principalement par le parole. Tout d’abord, la marque qu’il offre est en fait son nom d’humain écrit dans une langue que « seuls les morts peuvent comprendre »7. Pour rendre l’Outsider à nouveau mortel, il faut pouvoir lui dire son nom comme une sorte d’exorcisme, et le lien avec la judaïsme se manifeste à nouveau : le golem de Rabbi Loew meurt quand l’inscription « Vie » sur son front est effacée. On peut également noter que les runes, artefacts en os de baleines qui servent de catalyseurs à la magie de l’Outsider, sont gravées et que leur pouvoir semble venir de cette écriture; écriture que l’on retrouve sur les murs, laissée par ceux qui ont eu accès au Grand Vide. Son lien à la parole se traduit aussi par les nombreuses histoires et légendes qui courent à son sujet, son existence passe beaucoup par la tradition orale. On peut se demander pourquoi l’Outsider ne s’intéresse pas aux savants, qui eux aussi peuvent changer le monde comme les exemples de Anton Sokolov (qui permet l’industrialisation), Piero Joplin (qui trouve un remède à la peste) ou encore Kirin Jindosh (inventeur des soldats mécaniques). Comme l’affirme Delilah à Jindosh, la science ne peut pas comprendre le Grand Vide car il s’agit de quelque chose de radicalement différent et peut-être que ces inventeurs de renom ont perdu ce lien à la magie, au mythe ce qui les empêche de pouvoir être pénétré par les dons de l’Outsider, comme si le langage philosophique et scientifique ne peuvent que s’opposer au mythe8. De manière générale, il semble que l’Outsider ne se montre pas à ceux qui le cherchent. Les plus fervents ennemis de l’Outsider sont les membres de l’Abbaye du Quidam, religion qui rejette la superstition et qualifie le mythe, la magie et la tradition d’hérétique. Le fonctionnement des boites à musique qu’utilisent ses membres et qui paralysent les pouvoirs de l’Outsider est défini comme produisant « des harmonies qui neutralisent les énergies hérétiques, grâce à des contre-mesures par principes mathématiques. » Encore une fois, les mathématiques et la science s’opposent à la magie, comme un duel entre tradition et modernité. Enfin, l’Outsider paraît lié avec le continent Pandysséen (où l’on peut trouver des baleines terrestres) et les croyances autochtones. Ces autochtones sont d’ailleurs les premiers à avoir utiliser le pouvoir de l’écriture pour graver des os de baleines.

Pour conclure, l’Outsider est à mes yeux la plus belle incarnation de l’Etranger, dans tout ce qu’il a d’inquiétant et de fascinant. Absolument neutre et détaché du monde, il joue un rôle de dieu curieux. Le définir est compliqué car il est en permanence dans un entre-deux : mortel/dieu, issu du passé/intéressé par l’évolution du temps, il offre des dons mais se moque de l’utilisation que l’on en fait… L’Outsider lance vraiment le jeu quand il offre sa marque à Corvo mais il demeure étonnamment en retrait pendant le reste de l’aventure. Il ne se manifeste que pour faire douter du chemin emprunté; il ne faut pas voir sa marque comme un présent, mais comme un moyen qu’il utilise pour satisfaire sa curiosité. A l’image de ce qu’il représente, l’Outsider est mouvant, difficile à cerner : il est un mythe sans cesse réadapté.

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1: Dans Dishonored 2, Emily/Corvo a le choix d’accepter ou non les pouvoirs qu’offre l’Outsider.
2: le Gand Vide représente le summum de l’ambiguïté : à la fois espace irréel et tangible, déconnecté du monde mais avec la capacité d’influer ce premier, vide mais modélisable selon l’envie, Le Grand Vide est également autant un principe métaphysique qu’une réalité. Le Grand Vide peut-être pénétré par les mourants (voir les rituels de sang dans Dishonored: Death of the Outsider), le rêve ou de rares portails.
3: Le steampunk est un courant artistique axé sur la révolution industrielle anglaise mais en y incluant des éléments du futur : des robots fonctionnant à la vapeur, technologie de pointe qui fonctionne au charbon…
4: Seul cas à part, Mamie Chiffon qui possède les dons de l’Outsider sans que ses actions n’apparaissent si importantes ou source de changement. En fait, elle aurait obtenu la marque lors d’un voyage, peut-être a t-elle eu un rôle décisif durant ce dernier?
5: citation de Death of the Outsider
6: Dans le christianisme, le lien Dieu-parole n’est pas aussi présent que dans la Torah (Dieu qui dicte les Dix Commandements à Moïse par exemple)
7: même référence que le 5
8: Quand Piero Joplin entraperçoit l’Outsider dans un de ses rêves, il le décrit comme une incarnation de la mort, comme s’il est incapable de pouvoir comprendre ce qu’il voit.