Les ruines occupent une place importante dans le monde vidéoludique à tel point qu’elles forment un véritable topos qui frôle souvent le cliché. Certains jeux en ont même fait leur cheval de bataille comme les Tomb Raider ou la série des Uncharted dont le but est l’exploration de ruines pour y trouver des trésors mythiques. Pourquoi les ruines sont-elles si présentes ? Qu’est-ce qui rend ces espaces si emblématiques du jeu-vidéo et qu’est-ce qui les rend si passionnantes à explorer ?

« Mon Nom est Ozymandias, Roi des rois »
La ruine implique un rapport au passé. L’avatar évolue dans un monde qui existé avant et qui existera après lui. Tout ce qui est connu finira en ruine, le passage du temps est inexorable. Dans de nombreux cas, les ruines permettent de rendre compte de la taille, de l’ancienneté du monde. De par sa nature même, la ruine offre une réflexion sur notre propre finitude, mais aussi sur l’impact que le joueur laisse dans le monde où l’on joue. Les ruines rompent souvent le rythme du jeu. On cesse d’avancer rapidement (ou de tirer sur tout ce qui bouge!) pour ralentir et observer. En effet, à l’approche de ruines, on opte généralement une posture contemplative. Des jeux comme Ghost Recon :Wildlands parviennent à intégrer des ruines (ici amérindiennes) sans que cela paraisse artificiel ou que le rythme en pâtisse: on peut les traverser sans y prêter la moindre attention, ou alors on peut prendre son temps pour reconstituer ce qu’il y a eu ou trouver des éléments collectables qui renseignent sur le lieu. Les ruines donnent véritablement corps à l’histoire, elles en font quelque chose de tangible. Entendre raconter une histoire et déambuler dans ses traces sont deux choses bien différentes, et les développeurs l’ont bien compris!

De plus, dans certains cas, les ruines ne portent pas sur une simple histoire. Elles peuvent renvoyer à un passé lointain, qui se perd dans des racines mythiques. Dans Skyrim, les nombreux tertres et autres donjons sont autant des vestiges remplis de trésors qui se perdent dans le temps. Selon les légendes, les gardes de ces lieux oubliés, les Draugr, seraient d’anciens nordiques qui auraient combattu aux côtés des dragons. D’autres éléments tendent à infirmer cette légende mais le doute subsiste toujours et l’on peut trouver du plaisir à imaginer à quoi ressembler ces mausolées du temps de leur splendeur. Le joueur se fait, le temps d’un instant, archéologue, et reconstitue, par l’imagination de ce qui s’est passé pour que des civilisations disparaissent et que de leur grandeur ne restent que de fragiles traces.




En haut à gauche: Hollow Knight, la station du Roi
En haut à droite: Rage, la zone de départ
En bas à gauche: Skyrim, le tertre des chutes tourmentées
En bas à droite: Métro 2033, Moscou
« Cela passera aussi »1
Les ruines présentent une altérité dérangeante, elles insinuent que même ce qu’on pense éternel, le réconfortant quotidien, n’est qu’un grain de sable dans la longue ligne temporelle. Dark Souls 3 propose, dans son dernier DLC intitulé The Ringed City, un principe qui mérite de s’y attarder: le personnage jouable voyage dans le temps jusqu’à une époque où tout le monde est distordu par un temps fou au cours rompu. Dans le dernier moment de notre voyage, on arrive dans un lieu où plus rien ne subsiste hormis une infinie étendue de sable et quelques ruines perdues dans le lointain. C’est la fin, le temps d’après le temps. Tout est fini, le monde a vieilli jusqu’à s’éroder en sable: on marche littéralement sur les ruines du monde que l’on a précédemment exploré. C’est un terrain de jeu propice pour l’affrontement des deux derniers hommes pour empêcher justement que tout le monde ne se réduise à ce désert sans fin.

Certes, Dark Souls 3 n’est pas le seul jeu à nous faire voyager entre les temporalités. On peut par exemple parler de Chrono Trigger qui propose au joueur plusieurs époques allant de la préhistoire au futur. Mais Dark Souls est celui qui, à mon gout, pousse le concept à son paroxysme en mêlant ruines du passé, du présent, du futur. Plus que jamais, la grandeur des œuvres humaines ne vaut rien face au temps. L’altérité est plus que jamais présente entre proximité et distance.

The Tomb Raider
Les développeurs ont su développer la fibre de l’aventurier, ou du pilleur de tombes au choix, pour donner envie d’explorer ces lieux pourtant remplis de pièges, de monstres mais qui regorgent de trésors. L’appât du gain est typiquement le genre de petit vice qu’un jeu comme The Darkest Dungeon prendra un malin plaisir à punir. Dans ce jeu qui s’inspire fortement des jeux de rôle papier, vous montez une équipe de quatre personnages parmi plusieurs classes et vous aventurez dans les tréfonds du manoir de votre Ancêtre (mais pas que!), hanté par une force démoniaque. Le jeu utilise les ruines dans tout ce qu’elles ont d’effrayant, avec au programme: des combats contre des vagues de monstres, des mystères à résoudre, du butin à foison, la folie et la mort. Chaque expédition est une épreuve, chaque combat est potentiellement mortel pour vos personnages1 (coucou le Collecteur). Mais on revient à la charge, on brave les ennemis pour avancer dans l’histoire et trouver du meilleur équipement.

Car, oui!, ce qui pousse à avancer dans ces lieux sombres et angoissants, c’est bien souvent la récompense. Il peut s’agir d’un item rare, d’une arme inédite ou alors des renseignements. Aussi, dans Metroid Prime, en explorant un maximum, on peut trouver des inscriptions anciennes qui délivrent des parties importantes de l’histoire de la planète sur laquelle on évolue, mais aussi d’un ancien peuple, les Chozo, qui ont permis la création des metroids ou encore de l’armure de l’héroïne. Le thèmes des ruines extraterrestres se marie très bien avec celui de la technologie perdue ou d’un savoir ancestral à redécouvrir. Ce jeu, tout comme The Moonlighter, offre l’idée des ruines extraterrestres, avec des reliques incroyables qu’il faut comprendre, récupérer voire revendre au bon prix dans le cas du second jeu ! En effet, avec un inventaire réduit et deux armes seulement, on arpente des donjons pour trouver de quoi faire tourner le magasin éponyme. The Moonlighter sait jouer avec l’enchantement de l’exploration, l’émerveillement de la découverte (même si avoir plus de 5 donjons aurait été chouette…) et surtout la frustration de devoir repartir quand on tombe sur un ennemi trop puissant ou que l’on risque de perdre la quasi totalité de notre butin si on meurt!
Les ruines: un cliché ?
Comme dit plus haut, les ruines sont vraiment très présentes. Trop présentes ? En effet, beaucoup de jeux en ont et on serait tenté de se lasser face à une certaine redondance. Et c’est ce que je pensais, toujours faire la même chose: trouver l’entrée des ruines, déjouer les pièges, récupérer l’objet et repartir. Fin. Mais, je me suis rendu compte que si c’est ennuyant, c’est moins parce que le concept est mal utilisé que parce qu’il ne se renouvelle pas ou trop peu. Et, de fait, toutes les ruines tendent à se ressembler, à force de les explorer. MAIS, un jeu: Mad Max. Le jeu utilise à merveille le concept de ruine et m’a redonné de l’intérêt pour les ruines. Dans le jeu, tout est ruine, mais les ruines ne sont pas juste des éléments de décor, elles sont réutilisées par les nouveaux habitants des lieux. Tel groupe fait d’une plateforme pétrolière une place forte, tel autre groupe de survivants transforme un vieux phare en QG. Mais ce sont surtout deux ruines qui m’ont marqué: celle de l’église et celle de l’aéroport. Dans la première, on pénètre par le clocher, seul élément encore visible. Loin d’une transcendance, la pénétration ressemble plus à descente en enfer quand on comprend peu à peu le destin cruel des derniers occupants du lieu. Dans l’aéroport, c’est différent. dès qu’on y entre, on se sait traqué, chaque pas, chaque bruit ameute de plus en plus d’ennemis cachés dans l’ombre. L’insécurité s’installe et finit par éclater. On fuit l’aéroport à tombeau ouvert avec notre bolide dans les anciens bâtiments avec à notre poursuite des véhicules lancés à toute vitesse, en risquant de faire s’écrouler les fragiles plafonds des quais d’embarquement. Non, les ruines n’ont pas fini de nous impressionner. Il leur reste encore des avatars à explorer, des formes à incarner quitte à abandonner un peu les sentiers battus, les tombeaux anciens, les villes disparues et les bases scientifiques désaffectées.
1: « Cela passera aussi », une légende perse
2: la mort de vos personnages est permanente 🙂