Dans les bandes annonces de jeux, il est de plus en plus fréquent que la liberté du joueur soit mise en avant. Par exemple, le jeu Cyberpunk 2077 a promis trois campagnes différentes : Corporate, Nomad et Street Kid. Choisir entre ces trois voies modifiera le passé du personnage, le quartier dans lequel on commence l’aventure mais aussi les relations avec d’autres personnages1. Aujourd’hui, il semblerait impensable qu’un triple A ne présente pas de choix ou de fins alternatives tant il est ancré chez les joueurs -mais aussi chez les développeurs- qu’un « bon » jeu doit donner une grande liberté à celui qui y joue. D’ailleurs, un des pires reproches que l’on puisse à un jeu en monde ouvert, c’est de le trouver trop dirigiste. Certains jeux, certains producteurs de jeux ont comme spécialité la liberté proposée; une liberté d’autant plus importante qu’elle s’accompagne de conséquences dans la diégèse du jeu.

Une liberté toujours plus grande
La liberté doit être toujours plus grande. Tout doit être possible et un jeu qui ne respecterait pas ces impératifs risquerait d’être catégorisé « mauvais » d’emblée. La liberté ne peut pas (plus ?) se résumer à un choix de création du personnage de début de partie façon Donjons & Dragons, le joueur doit pouvoir ressentir à chaque instant cette liberté. C’est en partie pour ça que le monde ouvert est autant à la mode, il permet de créer un univers complexe dans lequel les choix du joueur vont avoir des répercussions. Pourtant, le monde ouvert peut également grandement décevoir par plusieurs aspects. Il y a deux gouffres à éviter : un monde trop vide et un monde trop plein. Dans le premier cas, on a l’impression qu’au lieu d’élargir les possible, le monde emprisonne le joueur dans un décor creux. C’est le reproche que l’on peut faire à Fable III, un jeu que j’ai pourtant adoré, mais en y rejouant j’ai trouvé le jeu vide, des portions entières de la carte peuvent être arpentée sans que rien de spécial ne se passe. A l’opposé, j’ai souvent que l’orgie d’icônes des mini-maps des jeux Ubisoft étaient contre productifs car parfois on peine à distinguer ce qui est secondaire de ce qui est pus important. Dans le monde ouvert, l’exploration est une forme de liberté est ne pas la récompenser, ou trop la récompenser, peut être gênant parce qu’on avoir l’impression de traverser des paysages vides ou au contraire donner l’amer sensation d’être guidé par le jeu, comme un âne qui suit la carotte. Tout repose sur un équilibre très fragile mais nécessaire pour le jeu.

Parmi la longue liste des échecs, il y en a un qui me touche tout particulièrement: Fallout 76. Plus les annonces et les promesses se multipliaient plus j’étais emballé; pensez donc : un jeu multi-joueurs dans un de mes univers préférés dans un monde quatre fois plus grand que celui du précédent opus. Dans ma tête, ce jeu ne pouvait pas être mauvais. Mais il l’a été, et comment! complètement vide de personnages non-jouables à qui parler, rempli de bugs et avec un système de bonus aléatoire qui pouvait rendre le jeu inintéressant, tout parait garder à ce jeu une place de choix dans le monde des ratages. Néanmoins, si on retire tous ces problèmes, il reste une promesse, partiellement tenue : ce seront les joueurs qui devront rebâtir le monde en ruine, le rendre vivant et lui créer une Histoire. Hasard le plus complet, quand j’ai joué au jeu, j’ai trouvé quelqu’un avec qui attaquer les monstres et remplir les quêtes, c’est à plusieurs que le jeu devient intéressant. En écoutant d’autres témoignages, j’en suis venu à penser que le principal problème du jeu2, c’est d’avoir mal choisi sa communauté de joueurs. Les fans de Fallout connaissent connaissent Fallout comme un jeu solo, sans vraiment prendre en compte que le multi-joueurs allait être la partie la plus importante du jeu. Pourtant, quiconque a joué à Dofus, Wakfu, World of Warcraft ou n’importe quel autre MMO a déjà vu des joueurs qui se créent, par le tchat leur propre histoire. Ces joueurs R.P. (Rôle Player)3 auraient dû être le public premier de Fallout 76 car ils auraient tiré le maximum de la liberté offerte par le jeu. Une communauté de tels joueurs pourraient apprécier le jeu pour ce qu’il à offrir, à savoir un monde gigantesque qui attend d’être reconquis et exploré. Je ne pense pas que cela aurait sauvé le jeu; mais cela aurait permis de profiter vraiment de la liberté qu’il donne pour inventer ex nihilo des aventures, des rôles, une vie unique sur chaque serveur. Le jeu aurait pu être quelque chose de bien mieux que ce cuisant échec car il est peut-être l’un des jeux dans lequel les joueurs auraient pu les créateurs autant que les développeurs; un des plus hauts degrés de liberté.

Différents niveaux de liberté pour le joueur
Dans les jeux, la liberté ne se limite pas à pouvoir avoir le choix d’aller où on veut ou faire ce qu’on veut. On peut donner plusieurs niveaux de liberté avec des caractéristiques et des importances différentes. Le plus simple et le premier à s’être imposer est la liberté de mouvement : préférer de faire une action plutôt qu’une autre. Ensuite, on peut trouver la personnalisation de l’équipement. Metro Exodus est un bon élève sur ce point, à tout moment on peut accéder à notre sac à dos pour y modifier nos armes. En changeant les viseurs, les accessoires et les silencieux on peut faire face à toutes les situations. En plus, pour renforcer la préparation que l’on doit avoir avant les combats, l’accès au sac à dos ne met pas le jeu en pause : il est impensable de nettoyer une arme enrayée ou fabriquer des cocktails molotovs en pleine fusillade. En plus de personnaliser ses armes pour les besoins du moment, il faut aussi anticiper une situation imprévue ce qui laisse une grande liberté quant à la façon on va traiter cet imprévu.
Enfin, la meilleure liberté qu’un jeu puisse offrir c’est de faire des choix qui vont impacter le monde dans lequel on joue. Une aussi grande liberté a également une contrepartie : il faut que le joueur assume ses choix et leurs conséquences (parfois imprévisible!) dans le monde. Bien que The Elder Scrolls V : Skyrim soit un de mes jeux préférés, on peut quand même regretter que les choix du joueur n’ait que des conséquences faibles sur Bordeciel, lieu du jeu. Aussi, les pourparlers que l’on peut organiser entre les rebelles Sombrages et les soldats de l’Empire pour aboutir à une trêve aboutissent à des échangent de fiefs et le retrait des factions de certains endroits mais cela n’importe ni à la vie dans les villes échangées, ni à l’ensemble de jeu puisque les quêtes peuvent être indifféremment donnée par l’une ou l’autre faction. C’est dommage que les développeurs n’aient pas poussé jusqu’au bout cette logique de choix/réaction. A l’inverse, Detroit : Become Human use la corde jusqu’au bout en proposant des choix au joueur qui sont de véritables dilemmes moraux et dont il est objectivement impossible de dire que l’une des solutions est meilleures qu’une autre. Les choix du jeu se font davantage sur une sensibilité particulière qui va être mise à rude épreuve car chaque choix importe : une solution par défaut ou une non-action peut s’avérer aussi néfaste qu’un mauvais choix.

Parmi les jeux qui proposent un usage intéressant de la liberté, on peut parler de la saga Dishonored dans laquelle le joueur a accès à plusieurs pouvoirs et objets. Comment va-t-on mener à bien notre vendetta ? Sera-t-on une ombre insaisissable qui se venge sans tuer personne ou un démon vengeur sanglant ? De nos choix et du nombre de corps que l’on laisse derrière nous le niveau de chaos dans la ville va augmenter ou baisser. Si le joueur tue tout le monde, les cadavres vont nourrir les rats qui se mettront à pulluler et faciliter la propagation de l’épidémie de peste. A l’inverse, ne tuer personne redonnera un air vivant à la ville. Nos choix vont rester visibles dans l’environnement de jeu et donc avoir des répercussions sur notre expérience de jeu. Par exemple, dans le deuxième jeu, si à la fin du premier niveau on a un niveau de chaos faible, la secrétaire d’Addermire du deuxième niveau sera vivante. Si en revanche on obtient un niveau de chaos moyen ou élevé, on retrouve cette dernière suicidée dans son bureau. De cette jauge de chaos vont dépendre beaucoup de choses comme la colorimétrie -qui devient grisâtre si on est trop violent-, le dénouement, l’avenir du pays etc… De plus, la question de la liberté et de ses conséquences est directement posée par Emily, jeune fille que l’on doit retrouver : en tant que père et mentor, comment nos actions vont-elles l’influencer quand elle sera Impératrice ?4

On peut également envisager une liberté d’un type totalement différent des deux premiers, une liberté plus profonde. Il s’agit de la liberté de la compréhension des événements du jeu. Dans un jeu, le scénario et le lore5 peuvent être cryptique et laisser une grande partie de leur compréhension aux joueurs est un acte fort car chacun aura une analyse différente en fonction de sa sensibilité, de son expérience de jeu… Choisir qui croire et que croire est une liberté personnelle qui donne de la consistance au jeu. La vision et la portée du jeu ne sont pas affirmées comme des vérités absolues mais comme le résultat et les conséquences de la liberté du joueur. Les Souls like utilisent cette logique comme fer de lance, c’est au joueur que le fin mot est donné et seule la vaste communauté des joueurs, avec leurs propres compréhensions de l’univers et de ses mécaniques peut parvenir à découvrir les secrets du jeu. Pour illustrer ce point, avant la sortie du troisième opus de la saga Dark Souls, le studio a lancé un concours: les joueurs devaient donner leur vision des événements des deux premiers jeux, avec, à la clé 10,000 dollars. La démarche est intrigante, comprendre l’histoire devient un jeu dans le jeu et en plus de laisser à chaque joueur la liberté de comprendre le monde de Dark Souls, mais le joueur a aussi la liberté de ne pas s’intéresser à l’histoire. On peut rester étranger à tout cela et se comporter en parfait passager.
Pour conclure cette partie, on peut dire qu’un jeu faisant un mauvais usage de la liberté serait un jeu qui ne laisse aucune conséquence aux choix des joueurs, qui ait une expérience unique quelque soit la façon on joue au jeu. Attention, il ne faut pas non plus appliquer bêtement cette règle, beaucoup de jeux ne proposent pas une multitudes de choix avec de grandes conséquences; par exemple, dans Bioshock Infinite les jumeaux Lutèce nous font jouer à pile ou face et on peut choisir entre un pendentif en forme de cage ou d’oiseau et le choix ne change rien à l’histoire, ces choix sont purement symboliques et l’indifférence face à la décision du joueur rejoint un des thèmes du jeu : on ne fuie pas son destin, peu importe où on se réfugie.

La Sainte rejouabilité
Le jeu vidéo, en utilisant savamment la liberté conférée au joueur, permet de penser la rejouabilité. Non seulement l’expérience vidéoludique est unique pour chaque joueur, mais en plus elle le devient pour chaque partie. Rejouer à un jeu signifie alors retrouver une situation et des personnages déjà connus mais pouvoir faire varier les événements du scénario. Faire varier l’expérience de jeu d’une partie à l’autre fait du jeu un produit qui n’est plus à usage unique. Par exemple, dans Call Of Duty: Black Ops 2, bien que la trame reste la même en fonction des choix du joueur, les décision de ce dernier vont entrainer ou non la mort des coéquipiers, la fin de l’histoire mais aussi l’échiquier géopolitique (en parvenant à tuer un chef belligérant chinois). Ces choix permettent de garantir un minimum d’intérêt pour les parties futures. Rejouer s’apparente alors à un test des limites de la liberté proposée. De plus en plus, la rejouabilité devient un critère de qualité pour un jeu, les NG+6 rappellent que le jeu a toujours plus à offrir que ce qu’il paraît de prime abord. En plus de proposer un simple renouveau de l’expérience vidéoludique, de rares jeux offrent une interconnexion entre les différentes jouées. Dans Undertale, Le personnage de Sans se « souviendra » lors de la confrontation finale si vous avez tué son frère dans un partie précédente. En plus d’apporter au côté étrange et supérieur du personnage, cette métaconnaissance du personnage ouvre des possibilités de gameplay : recommencer une partie ne revient pas à rembobiner le jeu; certains éléments restent permanents et la liberté d’action est à utiliser en connaissance de cause non seulement pour la partie présente mais aussi pour les parties futures. Les conséquences de nos actes dépassent la temporalité de la partie pour s’inscrire comme une permanence du jeu.
L’ouverture des possibles par le système de New Game + paraît donner du crédit à l’idée que la liberté occupe une plus toujours plus importante et que le joueur doit avoir les moyens d’éprouver cette liberté. Dans beaucoup de jeux, la combinaison du monde ouvert et de la liberté semble être une preuve de la crédibilité du monde du jeu et c’est à nous d’explorer le plus loin possible la liberté offerte. Cependant, certains jeux ne peuvent être recommencés que difficilement, c’est le cas des jeux Telltale, axé sur la prise de choix dans des situations précipitées ou dangereuses. Quand on rejoint à ces jeux, on se rend compte que nos choix importent peu, que grâce à des rebondissements parfois forcés, le jeu se termine de la même manière quelle que soit la manière dont on ait joué. Rejouer à un jeu Telltale est souvent une grosse déception.

La liberté dans les jeux est de plus en plus grande mais peu de jeux font réfléchir en profondeur à ce que signifie faire usage de cette liberté et quelles en sont les conséquences. Néanmoins, on est en droit de penser que la question de la liberté va continuer de s’approfondir tant il paraît aujourd’hui « évident » qu’un bon jeu doit laisser le joueur libre un maximum. La liberté et les graphismes semblent être les deux conditions nécessaires pour rendre un jeu immersif et crédible. Il n’y a rien d’aussi gratifiant que de sentir, pour un joueur, que nos actions vont laisser des marques ineffaçables dans le monde. Principe qu’a bien compris The Witcher: avant même de commencer à jouer, on peut importer les choix du jeu précédent pour que la nouvelle expérience coïncide avec le monde tel qu’on l’a laissé.
Pour terminer, dans son ouvrage L’Art du roman, Milan Kundera définit le roman comme une ouverture sur les possibilités de l’existence. Cette réflexion peut aussi être menée pour le jeu vidéo, les choix que l’on fait réfléchissent à la fois l’état d’esprit du joueur mais aussi le comportement que l’on veut donner à l’égo expérimental7 qu’est le personnage joué. Prendre une décision et la juger n’a aucun intérêt, par contre, considérer l’ensemble des choix du joueur et en déduire une ligne directrice ainsi qu’une évolution est captivant. La vie de chaque avatar s’axe autour de quelques problématiques existences qui dépendent du joueur et qui vont influer sur l’univers fictif.
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2: Hormis les défauts cités plus hauts. Pour la suite de la partie, il y a une séparation entre les problèmes de formes et celui, plus important à mon gout, de fond.
3: Parmi toutes les manières de jouer, ces personnes sont dans la parfaite lignée de l’histoire narrée comme dans les jeux de rôle.
4 :Dans tous les jeux Dishonored, la fin pacifiste semble être la fin canon.
5: Pour différencier les deux: le scénario renvoie à l’ensemble des événements présents dans le jeu tandis que le lore est défini par l’environnement (les règles, la géographie, l’Histoire) qui constitue l’univers du jeu. Le premier se charge d’actions de premier plan alors que le second constitue l’arrière-plan.
6: New Games + : le jeu recommence au début mais le personnage joué garde ses caractéristiques des parties précédentes (armes, pouvoirs, atouts…) ce qui permet d’offrir, dès le début de la nouvelle partie un large éventail de potentialité pour faire face aux ennemis devenus plus coriaces.
7: terme de Kundera utilisé dans son livre