De plus en plus de licences sont adaptées au cinéma. Pour le meilleur, et malheureusement, souvent pour le pire. D’un autre côté, les films ont fort à faire: il faut un résultat qui plaise autant aux fans hardcores qu’aux non-joueurs. D’autant plus que tout le monde n’a pas la même approche de ce qu’est une bonne adaptation. Pour certains, il s’agit d’une restitution authentique du jeu de base, la qualité est basée sur un plaisir de la nostalgie. Pour d’autres, à l’inverse, le film doit se détacher de son matériau de base pour s’affirmer comme entité indépendante. Bref! il est compliqué de trouver le bon équilibre, quel qu’il soit. Pourtant, ce défi ne décourage pas les différents cinéastes qui s’y essayent. Au visionnage de ces films, on se rend compte que souvent, la qualité n’est pas au rendez-vous, les réalisateurs et les majors préférant souvent miser sur la fan base ou la nostalgie.
Le jeu vidéo comme investissement fiable
Tout d’abord, il faut établir un fait, les films basés sur des jeux vidéos rapportent. Le petit dernier, Sonic, le film a rapporté 58 millions de dollars dès la première journée en salle et il se place en tête des films en France. Autre exemple: la saga Resident Evil, avec 5 volets et qui cumule 1,233 milliard de dollars au box-office (pour un budget de 288 millions de dollars)1. Retournons à la mascotte de SEGA, a priori, le film semblait voué à l’échec (bien que la masse de publicité permet de penser qu’il n’aurait pas fait un bide complet non plus). En effet, à qui s’adresse le film ? Sûrement pas aux joueurs de la première génération des années 90 qui ont maintenant au moins un vingtaine d’année et que ce genre de spectacle risque de ne pas interesser. Un tel film s’adresse aux enfants2 , mais le pari reste osé: ces enfants n’ont pour une bonne partie sûrement
jamais joué à Sonic. Ils ont leurs propres jeux et pourraient passer à côté de ce personnage qui n’appartient pas directement à leur univers. D’ailleurs, ce sont les fans qui ont demandé un nouveau design de Sonic (et une nouvelle voix française parce que franchement… ça vole pas haut); et c’est pour faire plaisir aux fans que le studio a fait une refonte du design: ne pas vexer la fan base (malheureusement, rien n’a été fait pour la voix…).
Le jeu vidéo au cinéma est-il considéré comme un sous-genre3 ?
[Je tiens à rappeler qu’il s’agit d’un avis personnel, basé sur mon expérience cinématographique et que vous ne serez peut-être pas d’accord. Argumentez en commentaire, je vous répondrai.]
Un des gros problèmes des adaptations repose souvent sur le réalisateur. Les adaptations sont généralement confiées à des réalisateurs dont le plus grand mérite est de suivre à la lettre les demandes des majors sans vouloir prendre le moindre risque, sans s’impliquer artistiquement. Par exemple, le film Max Payne a été confié à Roger Moore. Le réal avait beaucoup de poids sur les épaules: Max Payne le jeu utilisait de nombreux éléments cinématographiques et une très bonne mise en scène. Mais le film est assez mauvais de l’avis des critiques sur les sites (avis que je rejoins). Tout est caricatural, Mark Wahlberg joue assez mal et le surdécoupage de certaines scènes les rendent presque risibles. A mes yeux, le seul instant avec un minimum de recherche est celui de la mort d’Owen Green; sinon, le reste m’a paru parfaitement plat. On peut déplorer que les adaptations se résument souvent à des films plutôt bourrins. Le seul que je trouve bon sans pour autant le considérer comme un chef d’œuvre est Silent Hill malgré son rythme batard. Je ne vais pas développer ici pourquoi je l’aime, mais je vous recommande la critique de Karim Debbache dans Crossed4 qui est excellente. Bon, on ne va pas s’attarder sur le personnage longtemps, mais je ne pense pas avoir à vraiment argumenter pourquoi les films d’Uwe Boll sont mauvais, ceux qui en ont vu comprendront (et ceux pour qui ce n’est pas le cas, réjouissez-vous!) : c’est simple, rien ne va! On peut déplorer qu’aucun film ne se penche sur une réelle réflexion sur le jeu vidéo et qu’ils se résument à du grand spectacle (dont le summum est à mon gout Rampage que je recommande quand même, il est assez sympa) ou à des comédies pour enfants comme Angry Birds. Il est par ailleurs possible de noter que les films tirés de jeux se basent souvent sur des « vieux » jeux. Il pourrait être intéressant de se demander comment il faudrait s’y prendre pour faire un bon film sur des matériaux plus récents, comme le dernier God of War , pensé comme un film avec une mise en scène très bonne, une action qui se déroule sans interruption ( il n’y a pas de temps de chargement) et un jeu d’acteur performant…
les films qui traitent du jeu vidéo, la volonté de faire cool
Même si certains films ne traitent pas directement de jeux vidéos, il peuvent faire place à une pop culture qui garde une grande place au jeu vidéo. Je pense notamment à Ready Player One de Steven Spielberg, dont j’aime beaucoup le travail par ailleurs. Mais là, pour moi, la qualité n’était pas au rendez-vous. tout d’abord l’esthétique du film m’a laissé de marbre et surtout, j’ai vraiment eu l’impression d’être pris pour un âne devant lequel on agite des carottes de références qui doivent me faire saliver. C’est ce qui m’a fait franchement détester ce film. Durant tout le film, j’ai presque senti la main de Spielberg se poser sur mon épaule et sa voix me dire : « Hé ! t’as vu ? J’ai casé ce perso de ce jeu que tu aimes bien. C’est cool non ? » Pour être franc, je trouve aucun plaisir ni intérêt à chercher les « 50 références cachées dans Ready Player One« . Ce jeu de la référence peut être amusant quand c’est fin, discret et surtout sensé. Mais il parait souvent bien plus simple de balancer pleins de clins d’œil pour faire plaisir aux joueurs de jeux vidéos4. Et c’est dommage, Spielberg est un grand cinéaste, il aurait pu mener une réflexion de fond sur le jeu vidéo, son rapport à la réalité mais aussi son impact sur elle (les personnages jouent à un gigantesque jeu en VR pour fuir la réalité); mais non. Second « Mais » : Mais le film est apprécié, et pas qu’un peu. Il cumule 4,3 étoiles sur Allociné, sur une base de 1471 critiques dont plus 1000 lui donnent 4 ou 5 étoiles. On ne peut pas nier le succès qui est en assez grande partie lié au plaisir que de nombreux spectateurs ont eu, selon les critiques, à chercher les références. De même, la presse encense le film (4 étoiles) et elle aussi se réjouit des références à l’exception de quelques uns qui n’ont vraiment pas aimé ( le terme pédagogeek des Cahiers du Cinéma est sans équivoque). Pour le journal Le Point, ce film est un « Paradis pour les geeks« 5, pour moi cela soulève surtout la question: Quelle image a-t-on des geeks lorsqu’on fait un film ? Parce que; et là j’ai bien conscience de me placer en faux par rapport aux nombreuses autres critiques; pour moi un geek ce n’est pas juste quelqu’un qui va passer son temps à chercher les références d’un film et qui n’existe qu’à travers des personnages de pixels.
J’aimerai parler d’un autre film qui ne cherche pas juste à faire cool et branché pour plaire à une idée de ce que sont les geeks. Ce film n’est pas un chef d’œuvre et j’y trouve des défauts mais il a, à mes yeux deux grandes qualités : la volonté de bien faire et de ne pas se perdre dans une myriade d’effets spéciaux que le faible budget du film auraient rendu mauvais. Connaissez-vous Eden Log de Frank Vestiel ? Le film ne parle pas de jeu vidéo mais en utilise de nombreuses mécaniques comme les niveaux, les boss, les renseignements sur le passé grâce à des vidéos … Ce film n’est pas aimé, ni de la presse, ni des spectateurs. Pourtant, même si je suis d’accord quant aux différents défauts du film, sa structure, ses idées et surtout son visuel simple et angoissant le sauvent. Je ne vais pas m’attarder sur le scénario (qui se découvre toujours après qu’on l’ait vu une première fois par un jeu de flashbacks) mais sur l’ambiance, cet espace qu’on devine gigantesque mais dont l’obscurité donne des limites presque physiques. J’ai ressenti devant ce film exactement la même chose que dans les jeux Metro 2033 et Metro Last Light : une angoisse sourde liée à la claustrophobie. On sait que l’obscurité cache quelque chose, ce quelque chose rampe, grouille, creuse et la lampe torche rassure par son cercle de lumière, mais terrifie par tout ce qui n’est pas dans ce cercle de lumière. J’aime ce film parce qu’il réussi à capter ce qui me fascine dans certains jeux dans lesquels avancer permet de fuir un danger visible mais risque de nous plonger dans quelque chose de pire qui est caché dans l’ombre.
A mon avis, Eden Log a mieux capté l’essence du jeu vidéo d’angoisse et d’enquête que ne la fait Max Payne. Je voudrais finir en rebondissant sur la critique de Télérama : « Honteusement pompé sur The Descent et Resident Evil, Eden Log est rendu encore plus indigeste par sa morale écolo à deux euros. »6 Non, la « morale écolo » n’est pas si simple à saisir, contrairement à ce que l’image de fin laisse penser. La nature n’est pas vu comme une solution pour l’Homme mais comme sa fin, elle se nourrit de lui. Je vous recommande vraiment ce film, il est particulier, et mérite le détour, qu’on l’aime ou pas; et surtout, bien qu’il réutilise le fonctionnement d’un jeu vidéo, cette structure n’apparait pas comme une caricature ou un copié-collé.
pour voir la liste des films adaptés de jeux vidéos, c’est ICI
Pour commander Eden Log par ICI
et Silent Hill LA
Pierre Arpâd
1: On peut pourtant trouver paradoxal que cette saga ait été mal reçue malgré de telles recettes: aucun de ces films ne dépasse les 35% sur Rotten Tomatoes et sur Allociné, seul le premier opus dépasse les 2,5/5 avec 2,7/5. Il apparait dans ce cas que c’est avant out pour l’argent que les majors ont continué d’investir, l’échec critique leur importe assez peu.
2: C’est d’ailleurs le jeune public qui est visé avec la bande annonce, consultable ICI
3: Sous-genre est à prendre ici dans son sens péjoratif, pas comme un ensemble à l’intérieur d’une catégorie.
4: Franchement, la scène de bataille finale m’a provoqué un fou rire, on aurait dit un bouquet final de tout ce qui n’a pas pu être casé avant. En voici une image (aurez-vous assez de temps à perdre pour trouver toutes les sources ?) :