Il existe de nombreuses façons de raconter une histoire. Pour certains, il est important de tout expliquer pour montrer la richesse et l’entièreté de l’univers et s’assurer une cohérence interne très forte. A l’inverse, on peut faire le choix de l’omission et du silence. C’est cette deuxième catégorie de jeux qui m’a toujours le plus fasciné; ceux qui laissent une part d’interprétation au joueur. Cette incertitude est ce qui donne leur force à certains lores de jeux. Force est de constater que je ne suis pas le seul, il suffit pour cela d’arpenter les forums de théorie de Dark Souls ou de Hollow Knight entre autre, deux jeux importants dans le domaine. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’un jeu dont l’histoire est incertaine mais qui me fascine : The Final Station.
Attention: des spoilers sont détectés et ils entendent bien vous ruiner l’histoire; fuyez si vous voulez tout découvrir par vous même !

Un récit atypique : des E.T. et des Hommes
Le jeu est fortement marqué par la littérature comme par exemple Dracula de Bram Stocker auquel un niveau rend hommage avec humour. Mais la plus grosse inspiration reste le célèbre Stalker: pique-nique au bord du chemin (un clin d’œil amusant est le calendrier du jeu, basé sur la date de naissance d’un des auteurs), pierre angulaire de la science-fiction qui a inspiré le film de Tarkovski et la trilogie de jeux S.T.A.L.K.E.R. Le jeu est également influencé par le film La Guerre des mondes de Spielberg (notamment pour la violence entre les Hommes qui est plus effrayante que celle des envahisseurs). Au niveau architectural, on rencontre un manoir gothique, une ville aux aspects cyberpunk ou des endroits à l’arrière gout steampunk. En bref: le jeu est un concentré d’idées variées qu’il pourrait être difficile de mettre en commun. Et pourtant… et pourtant, le jeu est très intéressant car sous couvert d’une banale histoire d’invasion extraterrestre, il donne à voir une histoire complexe avec des personnages énigmatiques aux motivations variées, parfois incompréhensibles. Et surtout, il place le joueur dans un cadre étonnant : on ne voit jamais les envahisseurs, mais seulement les résultats de leur passage ou les prémices de leur arrivée. C’est avant tout une histoire d’Hommes qui tentent chacun de survivre à leur manière. Les différents niveaux du jeu permettent d’arpenter différents espaces tous très différents et habités par des milieux sociaux particuliers : de la plate-forme pétrolière au bar/bunker dans un trou spatio-temporel, en passant par la ville tentaculaire, le bureau d’un des chefs d’Etat, un abri anti-invasion tentaculaire ou encore la tente d’un avant-poste militaire. C’est grâce aux différents personnages et aux notes laissées que l’on finit par comprendre que la fin du monde a déjà commencé. Car chaque personnage à sa propre vision des événements à tel point qu’ils se contredisent parfois.

Bienvenue à bord du train; votre survie n’est pas garantie et la compagnie décline toute responsabilité en cas de mort violente.
The Final Station est développé par une petite équipe et un budget réduit. Comme beaucoup de jeux indie, le seul moyen de percer est présenter une approche particulière de concepts forts. Le jeu en lui-même est un shooter en 2D avec un style en pixel art et se divise en trois phases: les visites de stations infectées dans lesquels les armes à feu ne sont pas de trop, les voyages en train durant lesquels on peut en apprendre plus sur l’histoire ou crafter des objets et les visites de stations saines dans lesquelles on fait le plein de munition, de nourriture, de soin. On incarne un conducteur de train qui doit rejoindre différents endroits au fil des missions ou des détours. Assez rapidement, on comprend que quelque chose ne va pas mais il reste impossible de savoir quoi. Puis les infectés apparaissent, on ramasse un pistolet et on la survie commence. Dans chaque station, on doit récupérer un code qui permet de débloquer le train pour qu’il continue d’avancer. Pour atteindre ce code il faut faire face (ou fuir) les différents ennemis; sur le chemin, on trouver des objets et des survivants. Ces survivants monteront ensuite dans le train et nous accompagneront jusqu’à la prochaine station saine. Les passagers, au cours des phases de train poseront parfois problème: ils faut les nourrir ou les soigner quite à se retrouver sans soin une fois aux prises avec les infectés. Ce sont ces survivants et leurs interactions qui permettent de mieux saisir ce qu’il se passe; ils racontent ce qu’ils ont vécu dans la station, donnent leur avis, échangent à propos de la Première Visite des extra-terrestres… Le jeu est assez simple à prendre en main, ce qui permet de pouvoir s’interesser à l’histoire que ce soit par les dialogues ou les décors qui défilent lors des voyages en train et qui regorgent d’indices.

Les aliens sont de retour et Roland Emmerich est occupé : nous sommes perdus !
Dans the Final Station, les extra-terrestres sont déjà venus et ont laissé des zones remplies d’artefacts dont les Hommes tirent un grand bénéfice (coucou S.T.A.L.K.E.R.). Ils ont été repoussé par un moyen inconnu mais ont laissé des traces de leur passage: tous ceux qui ont respiré un gaz dispersé avant leur arrivée mutent et les rares rescapés ont les yeux blancs -les non-infectés ont les yeux rouges-. Il y a par ailleurs tout un aspect du lore traitant de la ségrégation des infectés survivants qui sont osctracisés et secrétement éliminés. La venue des Aliens reste dans la mémoire collective sous le nom de « la Première Visite » dont il difficile d’avoir des informations tant le sujet est tabou. Pour éviter une Seconde Visite, qui constitue les événements du jeu, un Conseil a été choisi pour diriger le pays (qui n’est pas nommé) et un gigantesque robot, le Gardien, a été construit. Cependant, rien ne semble arrêter la Seconde Visite, alors que les abris tombent (par contamination ou manque de nourriture), que le Gardien est complètement détruit et que les gaz transforment les Hommes en zombies, le Conseil est divisé par une trahison interne et tout s’effondre, c’est le début de la fin. Si la Première visite semblait ne toucher que l’Ouest du pays, cette fois, le gaz touche aussi l’Est et le Sud et à la toute fin, c’est aussi le Nord qui est un terrain de guerre. Derrière ce cadre plutôt simple se cache plusieurs arcs narratifs: celui des notes laissées par des personnages récurrents comme Amanda; les pérégrinations mystiques de l’étrange X. ou encore le mystérieux Chasseur, membre du Conseil et qui semble trahir les Hommes. Et le don de raconter en faisant rêver apparait : peu voire pas de réponses à de nombreuses questions ce qui laisse entrevoir des possibilités et des théories diverses. Par exemple, même s’il n’apparait que vers la fin, le Chasseur semble jouer un rôle central dans le jeu; il possède des dons surnaturels (on peut par ailleurs penser qu’il est en fait très âgé car il a visiblement vécu la Première Visite). Il est dit qu’il a trahi les Hommes, mais on ne sait pas au service de qui, pourquoi ni comment il est courant pour la « spécificité » du train du personnage. Il peut traverser l’espace et le temps ou même apparaitre dans les rêves. Mais encore une fois, il n’y a pas de réponse pour ce personnage dont on peut être sûr du rôle décisif. Son identité reste longtemps un mystère : son nom n’est connu que dans le DLC. Pourtant, l’histoire est riche pour peu qu’on se donne la peine de chercher un peu.
Le rôle de la pluralité des voix dans la narration
Si les notes et les dialogues permettent d’en apprendre plus sur le monde, ils donnent aussi une vision éclatée des événements; chacun y allant de son analyse. Conspirationnisme, spéculation, silence douteux d’individus au passé classifié, scientifiques, chacun à sa propre approche des choses. On n’a pas alors un récit linéaire mais une multitude de compréhensions qui permettent de se faire une idée de certains aspect de la narration. Par ailleurs, la difficile compréhension du récit commence dès ses débuts: les créatures noires qu’on peut prendre pour les Aliens sont en fait des humains. L’interprétation libre d’autres éléments est laissée au joueur, ainsi, on a la possibilité de lancer un missile mais on ne sait pas sur qui, ni où, ni dans quel but; seule une note nous informe que le missile est prêt et que les ordres sont attendus. De même, une des notes fait états de réponses à des recherches que l’on devine porter sur les Aliens et dont il est dit qu’ils ont traversé des distances incroyables mais il est impossible de savoir ce qui a été compris.
Il était légitime de penser que le DLC allait apporter des réponses. Mais il pose de nouvelles questions sans même vraiment répondre aux anciennes. Le personnage central est le Chasseur dont il est difficile de savoir s’il est un protagoniste ou un antagoniste. Bien qu’il manipule le personnage jouable du DLC et tue le conducteur du train, ses intentions ne sont pas complètement connues, il semble obeir à un but supérieur. Personnellement, il me fait beaucoup pernser au G-man de Half-Life, rarement visible, n’apparaissant que pour servir ses intérêts, bien qu’ils jouent tous deux un rôle de modérateur de l’action. Pourquoi sauver le héros du DLC et lui demander de tuer le conducteur ? Que veut-il dire quand il fait référence au bon moment pour agir ? Ses apparitions sont identiques à son rôle elles sont mystérieuses: il apparait d’abord une fois après avoir tué une multitude de mutants comme pour retarder l’infection, puis il dort parmi les hauts responsables du Conseil et il devient passager avec le but explicite de tuer le conducteur le moment venu puisque que le héros du DLC a échoué. Le plus déroutant est sa version des faits: les mutations ne sont pas une régression mais le résultat d’une évolution forcée bénéfique à l’Homme. Lui-même semble tenir ses pouvoirs surnaturels de son infection (il a les yeux blancs). Il est un mystère entier et ses intentions semblent impossibles à comprendre pour un mortel: il tue des mutants, trahit les Hommes, se dresse contre la secte qui veut faire évoluer les Hommes à un stade supérieur en sauvant le conducteur du DLC… Le comble du doute vient de la périphrase du DLC « le seul traitre » qui le désigne. Cette phrase est en fait écrite sur son portrait mais cette désignation semble venir d’un autre membre du Conseil, Conseil qui est loin d’être blanc comme neige (il est entre autre laissé comprendre que le Conseil a fait emprisonné son membre fondateur jusqu’à sa mort). Qui a trahi qui et dans quel but ? Ce sont des mystères que le joueur peut prendre plaisir à décrypter en analysant -parfois en extrapolant- à partir des indices dans le jeu.

Conclusion: un jeu bien ficelé dont les imperfections sont d’autant plus visibles
Eh oui! Il serait malhonnête d’encenser la narration mystérieuse du jeu sans parler des défauts. Certes, ce n’est pas directement le sujet de l’article ( qui porte sur la narration) mais ils ressortent encore plus que le jeu est intéressant. Pour commencer, il y a peu d’ennemis différents ce qui nuit un peu à la diversité et la grande taille de la diégèse du jeu. Ensuite, si certains niveaux sont bons, avec une bonne recherche, que ce soit l’ambiance étouffée des stations classifiées, la station pétrolière, la Mètropole ou encore le niveau avec le manoir gothique; d’autres sont complètement passables et nuisent même à la cohérence interne. Les phases de train permettent d’en apprendre plus sur l’histoire mais le joueur est trop souvent occupé à un mini-jeu qui empêche de profiter des dialogues. Surtout, et c’est le gros point noir selon les critiques Steam (critiques que je rejoins) : le temps de jeu est trop court, en 4-5 heures grand max, tout est fini; et pour 15€, c’est un peu léger. Dans la même ligne, le DLC permet d’obtenir plusieurs dialogues en fonction de qui voyage avec nous mais cela constitue le seul attrait de la rejouabilité. Le monde du jeu est grand mais on semble en permanence limité par un manque d’actions possibles. Il n’y a que très -trop?- peu d’interactions avec l’environnement. Face à tous ces arguments recevables, tout ce qu’on peut dire c’est qu’il s’agit du tout premier jeu d’une équipe très limitée. Leur prochain jeu semble se placer dans un monde tout aussi riche et on peut espérer qu’il sera plus complet.
Le lien d’une autre critique que je trouve complète et intéressante : https://cabinetdechaologie.wordpress.com/seances/septieme-seance/the-final-station-terminus-fin-du-monde/
Pour finir, voici une petite liste de questions auxquelles on peut prendre plaisir à répondre avec son analyse propre:
– Pourquoi les Aliens sont-ils revenus ?
-Qui a vaincu les Aliens lors de la Première Visite alors que leur technologie est si supérieure à celle des Hommes?
– Le Chasseur projette-il le chauffeur du DLC dans le passé ou une autre dimension ?
– Le « vampire » est-il un des membres du Conseil ?
– Pourquoi l’aventure commence-t-elle dans un mausolée de la secte ?
– A qui appartient la chambre d’enfant chez le conducteur du train ?
– Les écritures sur les murs laissées derrière X. sont-elles dans la langues des Aliens ?
– Le mur éventré par une griffure est-il la marque des Aliens?
– Qui ou quoi a détruit le Gardien? Les Aliens ou le Conseil?
– Le Conseil planifie-t-il le retour des Aliens?
– A quoi correspondent les stations inconnues dans le « trou de vers » ?
– Que devient le chainon manquant de la transformation que l’on prend comme passager?
– Le conducteur utilise un téléphone à deux reprises sans que la personne ne décroche, de qui s’agit-il ?