en coopération avec Églantine Maillot.
Parmi tout le bestiaire du jeu vidéo, il est une créature emblématique et mythique qui incarne le monde de l’imaginaire : le dragon. A travers ses nombreux dérivés, de Bowser aux vouivres de Dark Souls, le dragon est bel et bien présent dans un grand nombre de titres. Pourtant, le dragon n’a pas été crée par et pour les jeux vidéos, il a bien existé avant que ces derniers ne voient le jour. Faisons un tour dans cette passionnante histoire de ce gros lézard cracheur de feu.

l’animal symbolique, antagoniste du héros
Le dragon, dans sa symbolique occidentale, représente l’hérésie. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit l’ennemi numéro 1 des religieux, d’autant plus que son cousin le serpent est la cause de la Chute dans les Saintes Ecritures. Le dragon est l’antagoniste à abattre à tout prix. Sur les anciennes cartes, quand un endroit était inconnu, on pouvait trouver la mention Hic sunt dracones ( ici vivent les dragons), ils sont relayés aux frontières du monde connu. Mais le jeu vidéo dans tout ça ? Hé bien, la formule n’a pas tellement changé: le dragon reste l’antagoniste irréconciliable du personnage que le joueur incarne. Par exemple, l’un des dragons les plus connus et anciens est Ridley de la saga Metroid. Le dragon est à l’inverse du joueur, chaque qualité du joueur se change en défaut chez le dragon : le héros est valeureux, honnête, le dragon est fourbe, immonde, violent. Mais, avant d’arriver au jeu vidéo, le dragon a connu une phase transitoire: le jeu de rôle dont le but est justement de tuer le dragon ou de dérober son butin. De là, il n’y a qu’un pas vers le dragon qui garde les princesses prisonnières que l’on peut retrouver dans les jeux vidéos.

Le dragon est également une figure intéressante car il représente un défi pour le joueur, de fait de sa taille, de sa force. Le battre est un exploit qui nous dresse au-dessus des autres mortels mais restons-en là pour le moment, cet aspect sera développé dans la troisième partie. Le dragon, ou ses très (très) nombreux dérivés sont si présent dans le jeu-vidéo que l’on peut parler de topos du genre. Contrairement à bon nombre d’ennemis (les goules, les vampires et autres monstres…), le dragon en impose et est immédiatement reconnaissable quel que soit son aspect. Il faut dire que ses traits sont reconnaissables même s’ils ne sont pas tous présents : cracher du feu, voler, crocs et griffes, longue queue …
Pourtant, aussi terrible qu’il puisse être, le dragon peut vite devenir non plus le chasseur mais la proie. Et pas n’importe quelle proie, une proie de choix.
Parce que sa représentation est celle de l’ennemi du preux chevalier, symbole de pureté et de justice qui a pour tâche de vaincre la vile et sombre créature porteuse de péchés, le dragon se situe du côté de la sauvagerie et de l’incivilité. On rencontre un schéma similaire dans la série Monster Hunter, développée par Capcom : le dragon, comme bien d’autres créatures du jeu, évolue dans un milieu naturel où prédomine la loi du plus fort. Il n’est ainsi pas rare pour le joueur d’assister à la lutte féroce de deux monstres s’abandonnant à leur instinct de destruction, ce qu’illustre ainsi un dessin de Léonard De Vinci explicitement intitulé Combat entre un dragon et un lion :

le dragon et ses dérivés, proies de première qualité
Le dragon, aussi bien sur le dessin que dans le jeu, s’insère dans la représentation symbolique d’une nature qu’aucune société ne saurait investir, l’humain étant exclu d’un milieu qui lui est hostile. Le chasseur du jeu évolue alors dans une ère primaire où l’humain est loin de dominer la nature à l’aide d’une quelconque puissance technique. Le but est d’explorer un environnement violent, vide de civilisation et d’essayer de vaincre une créature dont la puissance surpasse bien pourtant celle du personnage. Explorer et survivre sont les maîtres-mots de Monster Hunter, le dragon représentant une nature sauvage dont il fait partie intégrante et qui constitue un élément dans lequel, contrairement au joueur, il est à l’aise. Une enluminure anonyme du Livre des Merveilles censée représenter une étape du voyage de l’explorateur Marco Polo illustre la concordance du dragon avec la nature :

Découvrir un monde, nous murmure cette représentation, c’est s’ouvrir aux merveilles d’une nature vierge sur laquelle ne s’est pas encore posé le regard de l’homme, nature qui fait surgir de son sein des créatures suscitant, de par leur caractère inconnu et leur forme étrange, étonnement, fascination et effroi. Néanmoins, si le dragon fait un avec la nature sauvage et peut, dans Monster Hunter, assister un cycle naturel en contribuant à la formation d’un écosystème – prenons l’exemple des Dragons créateurs qui, lorsqu’ils meurent, créent un écosystème pour en détruire un autre, montrant que la mort est indispensable à la vie – , certains dragons sont purement ennemis de la vie, n’aspirant qu’à la destruction sans que cette dernière ne puisse participer à l’apparition d’une nouvelle forme de vie. C’est notamment le cas de dragons quittant leur milieu pour changer d’environnement, déréglant ainsi l’écosystème par leur mobilité anormale : dans des circonstances non naturelles, le dragon ne forme plus une entité avec la nature mais constitue une véritable menace pour elle.
Tel est le cas de Fatalis, boss apparu dès le premier jeu de la licence Monster Hunter qui appartient à la catégorie des Dragons noirs et des Dragons anciens et dont l’objectif est d’annihiler toute trace de vie dont l’humanité. Son immensité, son obscure couleur, la légende narrant qu’il ferait fondre ses victimes pour les accoler à ses écailles comme s’il portait constamment sur lui la mort… toutes ces particularités physiques rapprochent le dragon Fatalis du thème des vanités, très présent dans l’art pour inculquer le sentiment de la futilité d’une vie sans cesse guettée par la mort. Son nom français fait précisément référence au latin Fatum, illustrant une vie dont le destin inéluctable est la mort. Mais c’est bien parce que le joueur est amené à vaincre Fatalis qu’il signe en même temps la victoire sur un destin contre lequel on peut lutter. Le chasseur de Monster Hunter arbore ainsi une figure religieuse éradiquant le mal et détournant l’humanité du chemin de l’Apocalypse, instaurant de ce fait un futur possible. Le dragon est donc encore et toujours une créature ténébreuse et viciée qu’il s’agit d’empêcher de prendre le pas sur l’humanité, ainsi que le représente le portail de Sainte-Anne à Notre-Dame-de-Paris, où l’on peut voir un dragon foulé par Saint-Marcel.

Le dragon comme allégorie de la sagesse et du dépassement de soi.
Pourtant, le dragon n’est pas toujours le grand méchant du jeu. Il peut être dompté, chevauché pour traverser de longues distances à l’instar de Pokémons comme Dracolosse. Mais surtout, il existe une sorte de fascination envers les dragons. Ils sont les ennemis à abattre mais pas que. Ils sont admirables, parfois uniques en leur genre. Les battre, c’est faire preuve de courage et de force: ils font de nous des héros, des libérateurs. Le dragon n’est pas un simple boss parmi les boss. Il est une sorte de sur-ennemi. Pour battre un dragon, il faut un véritable dépassement de soi, une force intérieure qui permet de vaincre là où d’autres ont échoué. Mais il existe un autre dépassement de soi que peut impliquer la figure du dragon : celle d’une forme de sagesse et de pouvoir mystique. Dans le troisième opus de Dark Souls, Les Drakesang sont des soldats qui ont une fascination toute particulière pour les dragons car la voie du dragon peut mener vers un renouveau de soi, comme une forme d’évolution vers quelque chose de plus haut. D’ailleurs, les symboles qui leur sont associés sont ceux du soleil et de l’entraide. Bien que les dragons soient généralement des ennemis dans Dark Souls, cette option d’évolution par la méditation pour les soldats apparait comme une voie qui mène vers l’accomplissement de soi-même. Cette notion d’accomplissement se retrouve dans Sekiro : Shadows die twice lors de l’affrontement avec le Dragon divin (rien que le nom de la bestiole donne une idée du défi), il faut récupérer une larme dudit dragon pour pouvoir trancher l’immortalité. Cette récompense est à la hauteur du défi : un affrontement contre une entité divine.

Pour finir, le dragon est une figure emblématique du jeu vidéo. Qu’il soit ennemi ou allié, il représente une force indomptable de la nature dont seules la valeur d’un vrai héros peut venir à bout.
