Tchernobyl est particulièrement présent dans le monde vidéoludique qui s’arroge la majorité des représentations du lieu. En effet, nul autre média a autant représenté « la zone » et ce qu’elle contient avec autant de force (quoique la photographie se soit beaucoup intéressée à la zone) que le jeu vidéo, en fantasmant cette zone de 30 km de diamètre. Aucun doute, Tchernobyl est un espace de fascination pour les jeux à tel point que l’on pourrait qualifier le lieu de mythique.




Dans l’attente de S.T.A.L.K.E.R. 2, qui sera, en fait, le quatrième opus de la série, on peut compter plusieurs autres titres qui se passent dans la Zone. Parmi eux, les deux plus notables sont Fear the Wolves, un battle royal un peu sous estimé et Chernobylite dont il sera beaucoup question ici. On trouve aussi les trois jeux S.T.A.L.K.E.R. qui ont crée un véritable engouement pour le genre rpg dans un environnement post-apocalyptique. Il faut dire que ces jeux ont construit une image d’Epinal des environs de Tchernobyl : la grande roue de Pripyat, les radars Duga, et les nombreux bunkers, entre autres. Cela renvoie au Tchernobyl réel, celui des cartes géographiques et des photos ukrainiennes. Mais il existe un autre Tchernobyl, un Tchernobyl avec des anomalies gravitationnelles, des chiens mutants et autres bestioles agressives. Un Tchernobyl des stalkers qui recherchent des artefacts rares, explorent en profondeur des ruines, où mourir est une chose si facile.
Entre mythe et réalité
Le stalker fait figure de héros sombre, qui sauve des vies mais peut tuer pour de l’argent ou par envie. Ce genre de personnage existe bel et bien. Il ne s’agit pas de résidents permanents de la zone -contrairement aux Samoselys -. Ce sont des pillards ou des ferrailleurs qui tirent profit des maigres ressources de la zone. Il s’agit souvent de parias qui tentent de survivre. On est donc bien loin des surhommes qui ont fait d’un bateau de pêche abandonné un bar accueillant1. Les stalkers qui nous intéressent ressemblent plus à des cowboys repoussants sans cesse la Frontier dans un espace hostile (voir l’article ici). Cette nouvelle Frontier est le résultat de la convergence de la nature, de la civilisation… et du surnaturel. Car oui, la Zone est un endroit qui ne manque pas d’éléments surnaturels et fantastiques.
Du simple zombie à l’anomalie gravitationnelle, il y en a pour tous les gouts à tel point que la chasse aux monstruosités peut prendre une grande partie du gameplay. C’est à celui qui tuera les plus grosses créatures qui ont toutes des capacités bien définies. C’est dans la séries des S.T.A.L.K.E.R. que le bestiaire est le plus varié. On y trouve des nains télépathes, des chimères qui bondissent dans tous les sens ou encore des monstres tentaculaires qui peuvent se fondre dans le décor . On y trouve aussi des anomalies, souvent invisibles, qui peuvent broyer, brûler ou téléporter le malchanceux stalker qui s’en approcherait un peu trop. Le principe des anomalies est repris par Fear the Wolves, qui, sans le dire officiellement, se déroule bien dans le monde de S.T.AL.K.E.R.. Les mutants ne sont plus que des loups violents porteurs d’artefacts. Le bestiaire se ré-élargit un peu avec Chernobylite qui introduit les Tchernohôtes, êtres terrifiants aptes à se téléporter et le Black Stalker, antagoniste principal, qui se fera un plaisir de vous prendre en chasse. Toutefois, on peut rester nostalgique du bestiaire large des premiers jeux, d’autant plus que la chasse n’apporte quasiment pas de butin.

Les points communs de la Zone
Mais ce qui unit ces jeux plus que tout, c’est la Zone qui est presque un personnage à part entière tant elle évolue et tant elle renferme de secrets qui ne demandent qu’à être découverts. Les règles qui la régissent sont compliquées et grandement ignorées par les joueurs et ce, dès le premier jeu. Elle est mystérieuse et dangereuse mais la récompense finale peut facilement valoir le prix à payer pour peu que l’on sache où aller. Dans Fear the Wolves, la dimension battle royal donne une sorte de vie à la Zone car plus l’étau se resserre, plus les loups et les anomalies se font présents. Dans Chernobylite, le monde semi-ouvert affiche des espaces à explorer et des rencontres à faire. La découverte et les rencontres vont fortement modifier l’expérience de ce jeu non-linéaire dans lequel on peut changer le passé et modifier nos relations avec les personnages. Chaque modification va entrainer des changements dans le déroulé de l’histoire et dans la Zone. Cet aspect « vivant » de celle-ci se trouve déjà dans le film Stalker d’Andrei Tarkovsky, Zone dans laquelle le chemin le plus court n’est pas forcément le plus rapide ni le plus sûr.

Dans les jeux S.T.A.L.K.E.R., à intervalles réguliers, ont lieu des « émissions » mortelles comme si la Zone respirait lourdement ou si les émissions étaient des pulsations d’un cœur gigantesque. Quand une émission se prépare, il faut se mettre à l’abri sous peine de mourir sans rien pouvoir faire. Cette mécanique de jeu est très intéressante parce qu’elle pousse le joueur à explorer la Zone en se mettant à l’abri et à profiter du danger extérieur pour inspecter l’intérieur qui peut lui aussi regorger de trésors comme l’Oasis. Tous les stalkers restés dehors se changent en Zombie et de nouveaux mutants apparaissent. On peut espérer que cette mécanique, qui rend la Zone vraiment vivante, sera dans le « second » opus de la saga qui devrait paraitre en 2022.
La Zone reste, et on peut l’espérer restera, mystérieuse et les personnages des jeux et du film en ont conscience. Aussi trouve-t-on, dans cet univers fictif, des scientifiques qui étudient la faune et la flore mais surtout, la Zone est l’endroit rêvé pour mener des expériences cachées comme le font les mercenaires du NAR dans Chernobylite. On trouve même un laboratoire mobile dans S.T.A.L.K.E.R. Call of Pripyat. Tous les esprits un peu curieux semblent s’être donné rendez-vous pour percer les secrets de la Zone ou y faire ce que l’on n’oserait faire sous les yeux du grand public.

Pour terminer, Tchernobyl est bien un lieu mythique. Y vivent tout un bestiaire unique et des personnages souvent haut en couleur. La zone existante, de 30 Km, est à distinguer de la « Zone », espace de tous les possibles et qui regorge de monstres. D’un côté le Tchernobyl calme et désolé, de l’autre le Tchernobyl des jeux, cauchemardesque, violent et survivaliste. De cette dichotomie nait l’aspect mythique de la Zone. Dans un sens, ces deux univers s’opposent et se complètent. La Zone ne peut peut être qualifier de mythique que si on envisage le mythe comme un récit qui fait intervenir des éléments inexplicables ou pour lesquels plusieurs explications sont possibles. Faut-il analyser la Zone d’un œil scientifique ou accepter les faits tels qu’ils sont ? C’est-à-dire un espace aux règles changeantes. Cet aspect d’évolution est très visible avec Chernobylite avec l’ensemble de la Zone qui se recouvre peu à peu de chernobylite. Ces cristaux verts, d’abord rares, se font de plus en plus présents et permettent un lien avec la ligne du temps. Comme si le Tchernobyl réel laissait peu à peu la place à la mythique Zone.
1: Il y a une épave qui sert de bar dans Call of Pripyat : le Skadovsk