Aujourd’hui, The Witcher (ou le Sorceleur en bon vieux françois) est une véritable institution. Adaptée sur Netflix, la série fait exploser les compteurs avec quelques 540 millions d’heures visionnées seulement pour la deuxième saison. Derrière ce succès se cache un univers richissime qui se déploie sur plusieurs médiums artistiques: la série comme nous venons de le dire, le cinéma, le jeu-vidéo, la bande dessinée et la littérature. Tachons de remonter aux origines de ce succès mérité qui sature les petits écrans.

Un sorceleur, c’est quoi ?
Les romans, tout autant que les jeux vidéo, mais aussi le film et la série ont pour principal personnage Géralt de Riv, un sorceleur. Dans les romans, les indices du passé du sorceleur sont donnés au compte goutte: ici une référence à Vésémir, là une explication sur la formation atroce des sorceleurs… Les jeux seront plus directs dans leur narration, notamment le premier et le troisième volet qui nous permettent de visiter Kaer Morhen, occasion d’en apprendre plus sur Géralt et ses comparses.
Pour faire simple, un sorceleur est un tueur de monstre sans morale et entièrement dévoué à sa tâche. Il se fait payer pour ses services rendus par des nobles, des bourgeois, plus rarement des soldats ou des paysans. il existe plusieurs « écoles » de sorceleurs comme celle de la vipère ou celle de l’ours mais Geralt vient de celle du loup, comme l’indique son collier magique. Le sorceleur n’est pas qu’un tueur sanguinaire rompu aux arts de la guerre depuis sa tendre enfance, lesdites écoles pratiquent sur les enfants des sorts et des élixirs pour les rendre plus forts, leur permettre de voir la nuit et d’obtenir une ouïe particulièrement fine, on notera la particulièrement risquée « épreuve des herbes ». Bien qu’humains, les sorceleurs sont rejetés par quasiment toutes les factions car ils effectuent le sale boulot et sont vus comme des monstres. Ils pratiquent également la magie via les Signes et sont passés maîtres dans l’art de la fabrication de potions de toutes sortes. Tout bon sorceleur a deux épées (ou glaives dans les romans), une en acier et une en argent. Les mauvaises langues disent que celle d’argent est faite pour les monstres tandis que celle d’acier serait faite pour occire les Hommes, mais ces dires sont contredits par Geralt dans le premier roman -en revanche, cela est vrai dans les jeux-. Il n’est pas rare que les employeurs se trompent sur les sorceleurs et ne les engagent que comme tueurs à gage ou assassins. Geralt se démarque des autres sorceleurs de par son attitude, tiraillé entre l’indifférence face au monde qui l’entoure et le désir de se créer un code d’honneur « humain ». Choisir le moindre mal. C’est d’ailleurs ce thème qui est évoqué dans la bande annonce de The Witcher 3 « killing monsters« . Ce thème est le fil rouge de la nouvelle « Le Moindre Mal » dans laquelle Géralt doit faire des choix cornéliens sans qu’il y ait de bonne solution.

Par ailleurs, deux éléments peuvent attirer notre attention. Le premier se trouve dans le premier livre de Sapkowski. Alors que Géralt et Jaskier sont au bout du monde, ils découvrent un très vieux livre écrit en elfique dans un village de paysans. Cet ouvrage regroupe tous les monstres connus et une page est dédiée… aux sorceleurs ! Voici ce qu’il en est dit :
« La gravure représentait un monstre ébouriffé à cheval, avec d’énormes yeux et des dents encore plus énormes. Dans sa main droite il tenait une épée imposante; dans la gauche, un sac plein d’argent.
–Un sorcereur, bredouilla la grand-mère. Parfois appelé « sorceleur ». Il est fort dangereux de faire appel à lui car alors on ne décide plus rien contre le monstre ou la vermine, c’est le sorcereur qui décide. »
S’ensuit alors une liste des paiements des « sorcereurs ». Le second élément sur lequel il me parait nécessaire de s’attarder est une bande annonce de The Witcher 3: Wild Hunt appelée A Night to Remember. On y entend une chanson nommée A Lullaby of woe (Une Berceuse de malheur) dont on peut retenir quelques informations utiles. Tout d’abord, il s’agit d’une ancienne chanson que les gens ont oubliée et, tout comme le livre ancien, elle dresse un portrait monstrueux du sorceleur : « Il vient et ne laisse rien d’autre derrière lui que chagrin et malheur et plus loin, le sorceleur, courageux et audacieux, payé en pièces d’or, va te hacher et te trancher, te découper et te tailler en dés, te manger tout entier. »
Encore une fois, le sorceleur est montré comme un monstre avide d’or et sadique. Les sorceleurs apportent une peur ancestrale, aussi bien chez les Hommes que chez les monstres. Pourtant, dans le cas de Géralt de Riv, c’est presque le contraire des deux portraits dressés, il porte le récit sanglant d’une quête désespérée d’une humanité perdue. Aussi Nenneke affirme à Géralt qu' »il devrait être évident [qu’il] ne sera jamais jamais un être humain, et pourtant [qu’il] cherche indéfiniment à l’être. En commettant des erreurs humaines. Des erreurs qu’un sorceleur ne devrait pas commettre.«
Au commencement était… une série de livres
La saga du sorceleur débute en 1986 et se poursuit jusqu’en 2013. Ecrites par l’auteur polonais Andrzej Sapkowski les nouvelles, plus tard regroupées en romans puisent dans de nombreuses cultures (polonaise, russe , irlandaise et allemande pour ne citer que les principales). Malheureusement, ce n’est pas tout de suite un franc succès et le lectorat francophone en sera longtemps privé, les livres n’étant traduits en français qu’à partir de 2003 avant connaître une réédition suite au grand succès des deux premiers opus du jeu vidéo (2011). La saga se place sous le signe de la fantasy qui s’attache en particulier à la dark fantasy de par le nihilisme de Géralt de Riv mais aussi la violence du monde, elle nous plonge dans un Moyen-Age sanglant peuplé d’Hommes, de Nains, d’Elfes mais aussi d’un bon gros paquet de monstres allant des banals loups-garous et vampires aux goules, aux trolls et autres nécrophages. Le bestiaire s’avère particulièrement riche, se basant sur des créatures issues de nombreuses mythologies comme la manticore, les Moires et la harpie (Grèce antique), le troll (monde nordique), l’ondine (Allemagne), la banshee (Angleterre)… Mais on trouve, au sein des nouvelles, des adaptations de contes folkloriques comme Blanche-Neige -l’histoire de Renfri- les légendes de djinns aux trois vœux ou la légende de Baba Yaga. On y trouve des personnages récurrents tels que Jaskier, Yennefer, Triss Mérigold et le nain Zoltan, entre autres. Le ton oscille entre sérieux et bonne blague et mise à part Yennefer, nombreux sont les personnages à ne pas hésiter à plaisanter ici et là. Même Géralt use de l’humour et se retrouve bien souvent impliqué dans des situations malgré lui. Il est souvent au mauvais endroit au mauvais moment.

Les livres ont une trame narrative commune : la rédemption presque impossible de Géralt; son vœu le plus cher, redevenir humain et être reconnu comme tel. Cette quête s’accomplit en partie par la relation que va entretenir Géralt avec la magicienne Yennefer dont les destins sont irrémédiablement liés; mais aussi avec leur fille adoptive, la jeune Ciri. Si, au début, Yennefer n’apprécie pas spécialement la jeune princesse; elle finit, dans les derniers tomes, par l’appeler « ma petite » et la considère comme sa propre fille, amour que la jeune fille lui rend bien. Dans le dernier volume intitulé La Dame du lac, Géralt est transpercé par une fourche lors d’un pogrom contre les non-humains et Yennefer donne toute sa force vitale pour le sauver, en vain. Ciri emmène alors ses deux parents dans une autre dimension dans laquelle ils peuvent s’aimer en paix et pour l’éternité. C’est là que les jeux entrent en scène, le premier d’entre eux prenant place lors de l’enlèvement de Yennefer par la Chasse Sauvage sur l’île paradisiaque.

Une trilogie de jeux époustouflante

Toute la trilogie de jeux vidéo est développée par CD Projekt Red, un studio polonais. La trilogie s’étale sur un peu moins de 10 ans avec un rythme de parution d’un jeu tous les 4 ans.
Si les deux premiers jeux rencontrent un bon succès mais relatif, c’est le troisième opus qui fait connaître The Witcher au grand public avec environ 28 millions de ventes en 2020, soit plus de la moitié des ventes totales de la trilogie ( à peu près 50 millions d’exemplaires, toujours en 2020). Il faut dire que ce troisième jeu est très bon de par son open world qui nous permet de voyager à travers de nombreux paysages mais aussi par les interactions nombreuses et variées qui sont proposées au joueur qui permettent une rejouabilité presque infinie. Fidèle aux livres, le bestiaire est impressionnant et puise dans de nombreuses origines. De plus, les lieux traversés font écho à différentes régions existantes, par exemples, les îles Skelliges et leur habitants font fortement penser à l’Ecosse. Parcourir ces vastes espaces pleins de trésors presque sans temps de chargement est un pur plaisir, là où les deux premiers jeux étaient seulement des semi-open worlds. Le joueur bénéficie d’une large palette d’armes et d’armures mais aussi de sorts et d’objets multiples pour l’aider à vaincre toutes sortes de menaces. Les quêtes y sont nombreuses et peuvent aller de la simple demande d’élimination d’un nid de monstres à la chasse d’une arme antique et unique.

Bien qu’inégaux au niveau de la qualité, les trois jeux méritent qu’on y joue, ne serait-ce que pour assouvir notre désir de tout comprendre du monde que l’on explore. L’univers brille par les nombreux ouvrages que l’on peut consulter qui renseignent sur la géopolitique ou l’histoire ancienne, par la narration indirecte des lieux ou des objets et par les mille petits détails qui attirent l’œil du joueur. En arpentant le monde ouvert, on est pris d’une fiévreuse envie de tout explorer, les villes, les ruines, les forêts pour y découvrir tout ce qui peut être exploré, ramassé. Il est également jouissif de découvrir que chaque action que l’on fait a des répercussions sur le monde; allons-nous laisser tel personnage vivre ou mourir, en sachant que l’on peut le rencontrer plus tard? Quelle décision prendre quand on sait qu’elle peut mener à la mort d’innocents ?
Il et intéressant de noter que CD Projekt Red a beaucoup misé sur le troisième jeu comme semblent le démontrer les trois bandes annonces qui abordent toutes un aspect bien particulier du jeu. Si Killing Monsters met l’accent sur la difficulté de faire des choix et la force de Géralt qui tient tête à trois soldats de Nilfgaard, A Night to remember se penche plus sur la violence de la tâche des sorceleurs: Géralt est blessé à la gorge et peine à vaincre la vampire: il est montré à la fois comme un monstre (la chanson, les pouvoirs, la potion…) mais aussi comme un humain vulnérable. Enfin, The World of the Witcher présente, sous forme d’animation -ce qui n’est pas sans rappeler les cinématiques de The Witcher 2-, un représentant du culte du feu qui appelle au meurtre des sorcières et des sorceleurs. Cette dernière cinématique sert de présentation aux nouveaux joueurs: elle explique l’origine de la magie, les monstres qui en découlent, le rôle des sorceleurs, la violence envers tout ce qui n’est pas humain et présente le principal ennemi du jeu, la Chasse Sauvage. La première et la troisième cinématiques font d’habiles clins d’oeil aux livres en évoquant la définition du mal par Géralt, que l’on retrouve dans le premier tome, mais aussi le nom du livre 4 : Le Temps du Mépris. On peut noter que ces éléments seront également repris par la bande annonce Netflix.
A suivre…