Cet article fait suite au premier (retrouvable ici) et s’attache, cette fois-ci non plus aux jeux et aux livres, mais à toutes les productions, bonnes comme mauvaises qui entoure l’œuvre d’origine.
un premier film et une première série… passablement passables

Pour la bande annonce du film, c’est par ici.
Parus sous le titre de Wiedzmin, ou plus largement The Hexer, le film (2H10) et la série (1 saison de 13 épisodes) voient le jour respectivement en 2001 et en 2002. Tous deux reprennent des éléments des différents livres mais offrent aussi des passages inventés par les scénaristes, comme l’enfance de Géralt. Que ce soit le film ou la série… c’est franchement mauvais, malgré l’implication des acteurs et la mise en place de certains codes que reprendra la série Netflix. L’histoire est trop vite racontée et semble vouloir englober l’ensemble des livres, ce que ni l’un ni l’autre ne parvient à faire. Dans la série, les différentes nouvelles sont éparpillées au fil des épisodes, créant ainsi une sorte de mélasse lourde à digérer. Les effets spéciaux sont ratés (même pour l’époque) et l’ensemble des critiques sont franchement négatives et il est difficile de les en blâmer!
Toutefois, faisons-nous l’avocat du diable Il faut accepter que le film disposait d’un faible budget au regard des productions actuelles même si pour l’époque, il était très élevé face au reste de la production cinématographique polonaise. Ce film montre une envie non dissimulée d’égaler les grosses productions hollywoodiennes en déployant l’artillerie lourde avec des incrustations en CGI de dragons et de trolls, laides à faire hérisser le poil. A plusieurs moments, on se rapproche indéniablement du nanar. Pourtant, l’intention était on ne peut plus louable: les acteurs castés étaient des stars du cinéma polonais et le film, tout comme la série, ont connu une vaste campagne de publicité avec un fort merchandising. D’ailleurs, le côté volontairement lacunaire que l’on ne peut que reprocher au film et son rythme décousu peuvent être interprétés comme des moyens d’attirer le public vers la série, sensée combler les trous. Peu de choses sont sauvables dans le film et la série mais on peut quand même retenir la qualité des acteurs et celle de la musique qui rend bien compte du monde hostile et glauque du sorceleur. D’ailleurs, s’il est boudé par son public, la bande originale, elle, a été plusieurs fois récompensée par des cérémonies polonaises.
La série Netflix, une réussite indéniable
Quand on surfe sur le wiki de The Witcher, on peut être frappé par la masse de choses qui se révèlent être non-canon, à commencer par… les jeux et la série Netflix! Car oui, les jeux, à la différence des livres, font revivre Géralt et Yennefer. De même, la série Netflix, bien qu’elle adapte assez bien les livres, n’est tout à fait fidèle à Sapkowski en mêlant plusieurs éléments. Par exemple Géralt n’a pas encore rencontré Ciri quand il affronte Vereena, la brouxe dont s’est entiché Nivellen. La série Netflix altère assez grandement la temporalité mais rend aussi les combats plus « visuels ». Il s’agit certes d’une adaptation, il faut donc modifier des éléments, mais il y a beaucoup de différences avec les livres. En revanche, il faut bien admettre que la série est d’une grande qualité: les vêtements, les combats et les relations entre les personnages sont admirablement bien rendus. De même, les effets spéciaux ne souffrent d’aucune faiblesse et les monstres sont affreusement convaincants.

Mais surtout, ce qui m’a frappé, c’est le ton. On y retrouve le même goût d’apocalypse que dans les livres, ce que les jeux vidéos et le premier film avaient occulté. Ici, il est question de fin du monde, de temps qui changent et ce leit motiv ne cesse de parcourir aussi bien les livres que la série. De tout cette peur distillée se dégage un doux parfum d’apocalypse, entre pogroms raciaux, guerres dévastatrices entre le Nord et le Sud, prédictions d’un malheur à venir et luttes intestines pour le pouvoir. Sans oublier les monstres qui pullulent dans la série et dont le comportement change dangereusement. De cette violence sourde ne subsiste que quelques traces, souvent oubliées, dans les jeux (par exemple l’annonce d’une nouvelle Conjonction des Sphères dans l’une des bandes annonces de The Witcher: Wild Hunt). La série Netflix brille par son obscurité et son pessimisme.
Récemment, Netflix a annoncé le tournage d’une nouvelle série, Blood Origin qui remonte 1 200 ans1 en arrière et qui prend place lors de la Conjonction des Sphères. Cette toute nouvelle série devrait nous en apprendre plus sur la formation du premier sorceleur, le déclin de la civilisation elfique mais aussi sûrement sur le plan des elfes qui vise à créer un être surpuissant: Ciri. En bref, Netflix ne compte pas s’arrêter à la série principale et a déjà crée un film d’animation à part entière.

Le film The Witcher: le Cauchemar du Loup (2021)

Par ici pour la bande annonce.
En plus de la série retraçant le périple de Géralt, Netflix a produit un film d’animation coréen basé sur le passé de Vesemir, le patriarche de Kaer Morhen. Cette préquelle n’est pas considérée comme canon et elle tranche radicalement avec la série principale et les jeux. Les personnages sont plus bavards, parfois pour ne rien dire ou faire des bouffonneries. De plus, les monstres se font massacrer par pelletées sans que cela semble être un véritable enjeu pour Vesemir. Les signes des sorceleurs sont surpuissants. Ainsi, Igni peut enflammer toute une caverne… Lors des combats, on a plus l’impression de regarder The Sword of the Stranger ou L’Attaque des titans (mention spéciale au grappin) que des sorceleurs prudents et endurcis. De plus, l’histoire semble confondre vitesse et précipitation. On peut admettre que le film soit court (83 minutes) mais il va surtout trop vite. On n’a pas vraiment le temps de développer les personnages et leur histoire, ce qui rend leur mort superficielle. Par exemple, après seulement deux-trois scènes, le sorceleur Luka, un des meilleurs amis de Vesemir depuis l’enfance, meurt, décapité, sans que cela entraine la moindre réaction chez le spectateur -ni chez Vesemir à vrai dire-. C’est un peu dommage parce que le film avait de quoi faire mais tout est trop rapide… Aussi, l’histoire tragique de l’elfe maudite Kitsu rapidement balayée d’un revers de main. Les personnages sont souvent caricaturaux, comme le roi, ou monolithiques, comme Tetra. Dès qu’une situation intéressante commence à se profiler, il faut vite changer de scène pour mettre de l’action.

Pour ce qui est de l’histoire… c’est un peu bâclé… Elle n’est là que pour mettre en avant la vaillance des sorceleurs et surtout la bravoure de Vesemir. Cousue de fil blanc, l’histoire peut se résumer ainsi: les sorceleurs tuent de nombreux monstres, trop même. Face à ce qui pourrait s’apparenter à la fin de leur travail, Deglan, le chef de Kaer Morhen, décide de confectionner de nouveaux monstres hybrides, plus féroces, plus nombreux pour assurer aux sorceleurs leur gagne-pain. Le secret révélé, une meute de paysans menée par Tetra et épaulée par Kitsu attaque et détruit Kaer Morhen, tuant tous les sorceleurs, sauf Vesemir et une poignée d’apprentis. Voilà… Des thèmes abordés trop facilement et déjà rabâchés par les jeux, la série et les livres: la haine contre les sorceleurs, le racisme des Hommes… Tout cela renferme une odeur de prémâché et manque de conviction. On peut noter une sorte de filiation avec le mouvement steampunk qui semble là plus pour faire joli que pour forger une bonne histoire. Encore une fois : dommage.

Néanmoins, inutile de jouer aux mauvaises langues, il faut bien admettre que les techniques d’animation sont très efficaces. Le subtile mélange de 2D et de 3D forme un ensemble plus que satisfaisant et la fluidité des combats dénote un savoir-faire indéniable. Par ailleurs, il est rafraichissant de découvrir Vesemir sous un autre jour. On y rencontre un jeune homme -qui a en fait 70 ans- idéaliste et intrépide, ivre d’aventures et d’or. Cela tranche avec le vieillard des jeux qui garde Kaer Morhen et qui s’assoupit alors qu’il fait réciter sa leçon à Ciri ! De plus, il se dégage du film une forme de violence non dissimulée qui rend honneur aux jeux. Les corps sont empalés, démembrés, décapités sans la moindre retenue ni la moindre tentative de cacher le sang qui coule à flot. Sur ce point, on peut admettre que le film ne lésine pas sur les moyens et ne cherche pas à être lissé pour que toute la famille en profite: le film d’animation est déconseillé aux -18 ans. Certaines scènes restent gravées dans la mémoire, comme l’épreuve des herbes et celle des marécages rouges qui transforment des enfants en sorceleurs. Ces scènes, bien que brèves, se révèlent très violentes et d’une rare cruauté.

L’univers étendu de The Witcher
Le monde de The Witcher ne se limite aux livres, jeux, films et séries. Il semble que la richesse de l’univers proposé touche de nombreux médias et supports artistiques. Aussi la bande dessinée n’est pas en reste et il existe de nombreux volumes qui retracent les aventures de Géralt. On peut citer le travail du scénariste américain Paul Tobin, spécialiste dans les BD issues de jeux vidéos2, dont les histoires se passent après le troisième jeu vidéo. La maison d’édition Dark Horse Comics, à laquelle appartient Paul Tobin a produit, à ce jour, pas moins de huit volumes qui ont été réédités. Les styles graphiques varient beaucoup d’un tome à l’autre du fait du roulement permanent des dessinateurs. On retrouve dans les bandes dessinées une adaptation du premier tome du Sorceleur de Sapkowski mais aussi des histoires indépendantes.

Hormis les bandes dessinées, le monde de The Witcher se déploie aussi dans les jeux. Le premier à venir en tête est le jeu de cartes de Gwent qui mime avec efficacité des batailles où les joueurs doivent placer des héros, des objets, des lieux pour l’emporter sur l’adversaire. Ce jeu, qui a connu une adaptation en jeu vidéo reprend le style de Magic, the Gathering en faisant appel à un grand nombre d’artistes pour illustrer lesdites cartes. Ce jeu de cartes est déjà présent au sein même de The Witcher 3 où le joueur peut prendre plaisir à collectionner les cartes et livrer bataille contre des PNJ. Ce système de jeu inclus dans le jeu n’est pas nouveau et existait déjà dans Rage par exemple. Ce genre de jeu de cartes est facilement addictif et on raffole de toutes les collectionner. Tout comme les cartes de Magic, the Gathering, celles de Gwent possèdent une image, des statistiques, des avantages mais aussi quelques lignes de description qui permettent d’en apprendre plus sur le personnage. Cela contribue à doter le monde de The Witcher de nouvelles figures et d’en redécouvrir des anciennes sous un nouvel angle. Rien que dans le troisième jeu, il n’y a pas moins de 199 cartes à découvrir et à collectionner.

l’héritage foisonnant de Géralt
Il existe une grande variété de supports pour perpétuer le monde du sorceleur. Outre les goodies liés aux jeux, on peut trouver des figurines vinyles pop, mais aussi une multitude de statuettes de toutes sortes et en tout matériaux. En plus des collectionnables, il existe plusieurs jeux de rôles papier basés sur le monde de Géralt. Parmi eux, on trouve un jeu officiel mais aussi plusieurs autres; il en existe au moins six différents approfondissant toujours, à leur manière, l’œuvre-mère de Sapkowski. Il faut dire que le monde décrit par l’auteur laisse une grande place à l’imagination et de nombreuses nouvelles aventures peuvent s’y greffer sans que cela paraisse artificiel!

En plus de tout cela, il faut avouer que le monde fantastique du sorceleur a laissé une empreinte indéniable sur le reste de la littérature science-fictionnelle. On peut en retrouver des échos dans l’Angleterre médiévale et sombre de la saga l’Epouvanteur de Joseph Delaney. Ce dernier dit s’inspirer de ses cauchemars pour modeler son monde mais on peut facilement supposer qu’il s’est inspiré des aventures de Géralt. Ses héros, les épouvanteurs, tout comme les sorceleurs doivent faire face à une horde de monstres issue de différentes mythologies et recourt à une dark fantasy morbide peu ou prou similaire mais sans jamais tomber dans le plagiat bête et méchant. Il en va de même pour l’adaptation en film de la saga, nommée Le Septième Fils. De plus, des thèmes récurrents sont observés dans la série Le Trône de fer Georges R.R. Martin tels que le changement irrémédiable d’époque, le passé glorieux d’un peuple aujourd’hui rejeté aux confins du monde civilisé… La série de l’auteur polonais a également beaucoup essaimé sur internet qui croule sous les fanarts et autres fanfictions traitant de mille et un thèmes et personnages, inventés ou repris.
Pour conclure, The witcher est une œuvre multiple et polymorphe, quasiment impossible à résumer. Elle a su intelligemment s’inspirer d’écrits antérieurs pour ancrer un monde unique dans la dark fantasy et influencer fortement les travaux postérieurs. Entre eux s’établit tout un système de clins d’œil et de renvois subtils, intégrant avec habileté des codes plutôt rigides pour les transformer, en faire autre chose. Quelque chose de nouveau qui va à son tour inspirer la postérité.
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1: Dans les livres, la conjonction des sphères a lieu il y a 1 500 ans.
2: Paul Tobin a aussi réalisé des bandes dessinées sur Angry Birds ou encore Plants Vs Zombies.