Aujourd’hui, quand on pense aux jeux vidéos, on a généralement l’image d’une épée en tête. Qu’elle soit d’un style classique ou unique, l’épée semble l’arme qui représente le mieux le monde vidéoludique. Comment l’arme a-t-elle conquis nos jeux préférés, et surtout, que signifie cette arme ? En effet, l’épée est présente depuis très longtemps dans l’art et symbolise quelque chose de particulier: une vision de la virilité.
Une arme universelle et unique, reconnaissable au premier coup d’œil
On pourrait faire une liste sans fin des épées dans les jeux vidéos. De la simple épée de fer de The Elder Scrolls: Skyrim à la monstrueuse épée de Cloud de Final Fantasy VII, l’arme possède une force indéniable : elle est universelle et tout de suite reconnaissable. Preuve de son importance: la quasi totalité des civilisations eurasiatiques et africaines l’ont utilisée à un moment donné de leur histoire, chacune l’améliorant à sa façon. De plus, il n’y a pas besoin de définir ce qu’est qu’une épée, tout le monde voit ce que c’est. L’arme est généralement liée à l’Antiquité ou à la féodalité mais ce serait sans compter sur l’imagination des artistes et des game designers! Repensée, remodelée, on la retrouve dans les fictions futuristes telles que Star Wars avec le sabre laser (élément emblématique de la série) ou l’épique saga Halo et sa splendide energy sword. Dans tous les cas, l’utilisation de l’épée est un signe de force, parfois de noblesse (seule la classe des nobles ou des soldats est autorisée à porter cette arme; le sabre laser est réservé à la caste des Jedis), et souvent, plus son design est imposant et travaillé, plus l’épée occasionne des dégâts importants.






Ci dessus:
– Les différentes épées à une main de The Elder Scrolls: Skyrim
– L’Energy Sword dans Halo Infinite
– Un soldat de Gwyn issu de Dark Souls
– Le sabre laser à quillons de Kylo Ren, Star Wars
– La Master Sword Dans Breath of the Wild
– Cloud Buster et son épée, Final Fantasy VII
Les jeux vidéos ont crée une certaine grammaire visuelle concernant l’épée: il s’agit d’une une arme noble, civilisée, travaillée, et qui s’oppose au gourdin du barbare. Elle est aussi un symbole du courage car elle nécessite une grande bravoure pour oser affronter l’ennemi au corps à corps, mettre directement sa vie en jeu, ce qui l’oppose à la lance ou l’arc. Par ailleurs, des conventions basiques ont rapidement vu le jour. Aussi, l’épée à une main est rapide, précise mais fait moins de dégâts que l’épée à deux mains, plus lente, moins maniable mais qui permet de faucher les ennemis par paquets1. A cela, on peut ajouter le pouvoir magique de l’épée. En effet, souvent elle n’est pas une simple arme. Par exemple, dans The Legend of Zelda, la mastersword permet de voyager dans le temps mais est aussi une relique ancienne, la seule arme capable de repousser le mal. Cette arme peut être ironiquement opposée à la grande épée Goron… qui se casse après quelques coups. Autre exemple: dans Blasphemous, l’épée épineuse, issue d’un miracle permet la rédemption du Pénitent s’il se poignarde avec à la fin du jeu. Dans Kingdom Hearts, la keyblade, maniée par les protagonistes est non seulement une arme redoutable contre les sans-cœurs mais aussi un artefact puissant qui permet de voyager entre les mondes, d’en sceller les passages mais peut aussi sauver le monde ou le plonger dans le chaos.
Aux origines du jeu vidéo: le JDR fantasy
L’épée est principalement une arme de RPG (Role Playing Game) qui atteint son apex dans le sous-genre J-RPG. Elle est l’arme du preux chevalier, du paladin, du légionnaire, du samouraï… elle est omniprésente. A l’origine des RPG numériques se trouve le jeu de rôle papier dît « sur table », un jeu de société apparu au milieu des années 1970 et qui connaît un succès fulgurant. Les premiers jeux de rôle sur table ont développé un univers médiéval, sombre et glauque, dans lequel l’aventurier se confond avec le pilleur, le marchand avec le voleur. C’est plus tard que le genre va se diversifier et se pencher sur d’autres univers comme le cyberpunk ou le steampunk. Le jeu de rôle met l’accent sur la gestion de son personnage et des ressources, incluant son armement. L’épée est à l’honneur dans ces jeux, aussi bien comme arme de base que comme objet de quête à trouver (épée magique…).


De même, les jeux de cartes à collectionner et « les livres dont vous êtes le héros » font la part belle aux épées. Belle et élégante quand elle est maniée par un héros, elle peut devenir menaçante et impressionnante quand elle est dans les mains d’un ennemi. Celle du héros s’oppose souvent à celle du méchant, que ce soit dans sa forme (lisse/hérissée de pointes…), dans sa couleur (par exemple Star Wars) ou sa symbolique (lumière/ténèbres…). Quel que soit le support, on trouve assez régulièrement trace de l’épée vorpale, souvent considérée comme l’arme la plus puissante des rôlistes. On la retrouve aussi bien dans le traditionnel Donjons et Dragons que dans l’incroyable jeu de cartes Magic: The Gathering mais aussi dans le jeu Welcome to the Dungeon. A l’instar du Necronomicon, cette épée, d’abord décrite dans un poème de Lewis Carroll intitulé Jabberwocky, va traverser les œuvres et les imaginaires pour devenir une source des multiples avatars.

Le jeu de rôle ne s’est pas contenté du support papier et a vu se créer des GN, autrement dit, des jeux de rôle Grandeur Nature. Finies les statistiques, les gestions interminables d’inventaires toujours trop petits. Ici, vous entrez dans la peau de votre avatar, vous prenez sa voix, ses manières, son comportement. Arme à la main, allez affronter des clans ennemis, frottez-vous aux monstres les plus terrifiants et pourfendez les boss. Inutile de dire que bien souvent l’arme de base est l’épée, allant du simple glaive légionnaire aux Zweihänder des landknechts. Quand elle n’est pas donnée, l’arme est bien souvent fabriquée par le joueur qui la modèle à son bon gout: sera-t-elle imaginaire et farfelue ou bien renverra-t-elle à une époque bien précise ? Tout est possible ! C’est aussi au rôliste de gérer son armement: opter pour une épée courte associée à un bouclier, ou la mettre en binôme avec une dague de parade ou une autre épée, à moins que l’on préfère une épée à deux mains si l’on veut miser sur l’attaque. Finie la rigidité des systèmes de combat des jeux vidéos, bien que certains titres comme For Honor aient su renouveler leur gameplay en proposant différentes postures et bottes; c’est au joueur d’attaquer quand bon lui semble et de parer au dernier moment. Le jeu de rôle grandeur nature permet à chacun de vivre pleinement son personnage et de combattre comme bon l’entend.

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Une inspiration qui remonte aux grandes épées mythiques
Les jeux vidéos se démènent pour créer des épées uniques dans leurs caractéristiques et leur design. Cela n’est pas sans rappeler les épées de légende. la première qui vient en tête est Excalibur, l’épée mythique du roi Arthur à laquelle rend ostensiblement hommage la mastersword de The Legend of Zelda, que seul un élu peut retirer de son socle de pierre. Mais Excalibur n’est pas la seule lame à avoir une aura légendaire. On peut aussi penser à Durandal, l’épée de Roland que ce dernier tenta de briser avant de mourir pour qu’elle ne tombe pas entre les mains des Maures mais qui rebondira sur la roche avant de se ficher dans une falaise. Il est intéressant de remarquer que presque toutes les épées des personnages nommés dans la Chanson de Roland ont leur propre nom, symbole de force, d’autorité et d’unicité. Néanmoins, il n’y a pas qu’en Europe que l’on trouve de telles armes. Scrutons l’Est pour trouver des épées rutilantes de sacralité.

Puisque nous sommes au pays du Soleil levant, arpentons la sinistre légende qui entoure le forgeron Murasama Sengo. Ce dernier fonda sa propre école et fut rapidement reconnu pour ses talents de forgeron et il lui fut décerné le titre honorifique de Garde Impérial. Cependant, là où cette histoire devient intéressante, c’est quand la légende s’en mêle: Muramasa était réputé comme quelqu’un de très coléreux et cette colère se serait transmise aux katanas qu’il a forgés. La légende raconte que les armes créées par sa main ne pouvaient être rengainées tant que le sang n’avait pas arrosé le miroir de la lame, condamnant un grand nombre de porteurs à commettre des crimes ou à se suicider. Ces épées maudites illustrent parfaitement le concept japonais de Satsujinken, c’est-à-dire d’épée meurtrière; la lame vengeresse et violente qui s’oppose à l’épée salvatrice. Une autre légende raconte que, plantée dans une rivière, une épée de Murasama aurait tranché tout ce qui se présentait devant elle: poissons, feuilles mortes et même l’air ! Tout parait converger pour conférer aux armes du maître forgeron une aura maléfique. On pourrait aussi s’intéresser à Asi, la première épée créée par Brahma dans la religion hindoue; à Gram, l’épée surpuissante de la mythologie nordique qui tua le dragon Fafnir ou encore à la Harpe, arme avec laquelle Chronos castra son père et avec laquelle Persée décapita la Méduse. La liste serait longue, sinon infinie de ces armes mythiques auxquelles on pourrait ajouter des épées historiques mais sacrées comme Joyeuse, la lame de Charlemagne.
Une certaine vision de la virilité
Il n’a pas fallu attendre le jeu de rôle sur table pour que l’épée se taille une certaine réputation. Dans les autres arts, principalement le cinéma et la peinture historique, la lame acérée véhicule toute une imagerie de la virilité. Dans Conan le Barbare -l’original, pas le remake– l’épée est associée aux muscles, à la violence et à la sueur. L’épée y brille autant que les pectoraux de Schwarzenegger. Ici la figure du barbare viril et de son épée phallique ne font qu’un. La seconde étant la continuité du premier, comme l’extension naturelle du bras. L’épée nécessite un fort entrainement musculaire proprement masculin pour être maniée efficacement. Elle est associée au sexe de son porteur, les deux se justifiant mutuellement.

La peinture historique, et principalement celle du XVIII° et du XIX° siècle, est imprégnée d’une forme toute particulière d’homophilie. En effet, exclue de ce genre historique, ou réduite à des rôles de pleureuses, de figures de la tentation ou d’épouses éplorées, la femme n’a pas son mot à dire. L’histoire serait une affaire d’hommes, surreprésentés. Pourtant, la frontière est tout particulièrement ambiguë; l’homme est souvent efféminé et n’est que rarement une masse de muscles. Au contraire, les traits généralement androgynes et ce qui relève la virilité traditionnelle c’est le port de l’épée. Celle-ci est un symbole de la gent masculine. Par exemple, dans Le Serment des Horaces de David (1785), ce sont bien les trois frères, debout, dans une pose dynamique, prêts à la guerre qui font face aux glaives que leur tend leur père. Expédiées dans un coin, les femmes forment une masse oblongue et affalée, occupée à pleurer. L’art du glaive est un tradition exclusivement masculine et les femmes ne sont que des spectatrices impuissantes. Pourtant, c’est bien un autre tableau de David qui nous intéresse: Léonidas aux Thermopyles réalisé en 1814. Ici, les glaives se superposent au sexe de plusieurs personnages, le cachant et, paradoxalement, le découvrant encore plus. C’est une véritable assimilation entre les deux qui s’opère et que l’on peut retrouver dans les jeux vidéos: épée = virilité (Cloud aurait-il quelque chose à compenser?). Puisqu’on parle de sexe, autant y aller complètement en se penchant sur l’appellation latine du fourreau -rien qu’en français le terme est plus qu’érotique-, il s’agit carrément de vagina. Le phallus, tout comme la lame va « fourrer » le vagina; il s’agit, pour le bretteur, de faire montre de sa virilité.

Pour conclure, le jeu vidéo n’a pas tant inventé que recyclé et adapté ce qui concerne les épées. Le domaine a su créer ses propres mythes, sa propre grammaire visuelle pour faire vibrer le cœur des joueurs. En épée, chacun a sa préférence mais force est de constater qu’elle demeure une arme de prédilection. Par contre, point moins glorieux, l’épée semble plus s’adresser aux joueurs qu’aux joueuses de par sa symbolique virile et phallique mais il faut reconnaître que dans les jeux de rôle, qu’ils soient sur table, numériques ou grandeur nature, les femmes sont plutôt rares voire absentes. On peut toutefois noter, ces dernières années, une diversité grandissante qui permet aux deux genres de trouver leur place, avec par exemple, des personnages épéistes féminins mais sans tomber dans le cliché de la femme faible. On peut citer, entre autres, deux des personnages principaux de Nier: Automata.
NB: On peut rapprocher le rôle de l’épée d celui du bâton dans La corde de l’écrivain et essayiste japonais Kobo Abe. L’auteur y décrit les deux premiers outils de l’Homme, la corde, pour se défendre du mal et le bâton pour préserver ce qui nous est cher. Si on part du principe que cette conception est applicable quelle que soit l’époque, alors le bâton pourrait dignement se transformer en épée, dont la forme est identique ainsi que le but.

1: Chose amusante, dans la réalité, il s’agit de l’exacte contraire: utiliser ses deux mains permet de mieux viser et de répartir le poids de l’arme sur deux bras. L’épée à une main est faite pour briser violemment la garde adverse et fracasser tout ce qui se trouve en face.