Dans les jeux-vidéo, la présence d’une carte, souvent associée à une mini-map (carte qui résume l’environnement proche), semble être un acquis évident. Pourtant, ce n’est pas le cas. La carte est un élément significatif de l’évolution du jeu-vidéo car elle renvoie à la volonté de créer des espaces différents qui ne se limitent pas à la zone visible de l’écran. Par exemple, le jeu Pong (1972) ne présente pas d’espace hors écran du fait des limitations technologiques de l’époque. Tout se résume à la zone visible qui est l’écran de télévision. Tout ce qui en sort est détruit, comme c’est le cas des balles. Il s’agit d’une représentation théâtrale, où l’espace d’action est la scène, un cadre fixe. L’évolution du jeu-vidéo consiste à passer de la zone théâtrale à un un espace filmique, qui comprend un hors-champ. D’abord en 2D, puis en 3D, et maintenant en VR, l’espace des jeux-vidéos ne cesse de se complexifier, de se ramifier et rend généralement nécessaire l’existence d’une carte pour unifier les différentes zones.

Une complexification de l’espace de jeu pour signifier un univers complexe
Le passage de la zone à l’espace, qui complexifie l’environnement vidéoludique, crée différentes axiologies spatiales qui vont être utilisées par le jeu. Ainsi, on retrouve la banale opposition ici/là-bas, mais aussi Nord/Sud, centre/périphérie, ville/campagne, surface/souterrains etc… Ces axiologies sont vitales pour un jeu car elles développent les relations entre les espaces et les organisent. Dans Subnautica (2014), le joueur doit prendre en compte plusieurs de ces axiologies lors de ses explorations des profondeurs. Le joueur apparaît dans une Shallow zone moins dangereuse et moins profonde que le reste des espaces (ici/là-bas) autour de laquelle s’organisent différents biomes naturels, avec chacun sa faune et sa flore particulières (centre/périphérie). Au cours de son périple, le joueur sera amené à explorer les grands fonds mais aussi la surface via l’épave du vaisseau spatial qui nous amené sur la planète mais aussi grâce aux deux îles (hauteur/profondeur). Toutes ces axiologies, bien qu’elles passent généralement inaperçues quand on joue, sont essentielles tant pour les développeurs que pour les joueurs. Pour les premiers, ils s’agit de développer un jeu riche et complexe dans lequel on ne s’ennuie pas, pour les seconds de se repérer immédiatement en fonction de l’environnement et de pouvoir se diriger sans utiliser la carte -très souvent extradiégétique-. A la manière de Subnautica, beaucoup de jeux jouent de l’opposition entre un ici, sécurisé, où on peut se reposer, manger, confectionner, vendre et entreposer son équipement, et un ailleurs extérieur, dangereux, violent, naturel. Quand je parle d’un ici, il peut s’agir d’une ville, d’une base, d’une maison, d’un repaire. Par exemple, dans Fallout 4 (2015), le joueur commence au Nord-Ouest de la carte, dans un village abandonné qui lui servira de repaire pour bâtir une nouvelle ville. Pour avancer dans l’histoire, il doit se rendre au centre de la carte, à Diamond City. De là, il peut rejoindre le Sud, complètement irradié et infesté de monstres mais aussi l’Est délimité par la mer pour s’aventurer vers l’aéroport où se trouve la base de la Confrérie de l’acier.

A la base un simple outil pour se repérer, notamment dans les metroidvania qui ont connu leur apogée dans les années 1990 (Super Metroid en 1994 et Castlevania : Symphony of the Night en 1997) où le joueur devait parfois dessiner son propre labyrinthe, les cartes sont devenues des éléments emblématiques des RPG et des jeux de stratégie. Dans les J-RPG (jeux de rôles japonais), on alterne souvent entre plusieurs cartes : une carte d’espace clos dans le cadre d’une maison, d’un magasin, une carte de moyenne échelle pour une ville ou un niveau et enfin, une carte régionale où le joueur peut évoluer en naviguant de ville en ville, de forêt en caverne… Ces trois niveaux de cartes servent des buts particuliers mais, qui ensemble, forgent le jeu-vidéo. La grande échelle rend compte des détails, la moyenne des interactions, la petite de l’agencement du monde. Tout cela forme une ambiance, une narration, un univers à la fois pluriel du fait de sa fragmentation en écran et uni dans sa cohérence, son agencement. Les jeux de stratégie, de leur côté, font de la carte non pas un élément accessoire du jeu mais l’interface même du jeu. L’ensemble du jeu prend la forme d’une carte interactive qui présente différentes icônes pour symboliser les éléments importants pour le joueur, il peut s’agir de ressources stratégiques, d’unités de combat, de villes… Plusieurs jeux proposent des surcouches à ajouter à la carte de base pour voir plus simplement l’étendue des empires, des baronnies ou encore les types de terrains… La carte se présente comme le moyen le plus simple de représenter significativement le principe du 4X, à savoir des jeux basés sur l’eXploration, l’eXpansion, l’eXploitation et l’eXtermination. Bien évidemment, ces jeux ne sont pas politiquement neutres (aucun ne l’est !) et renvoient à une vision purement occidentale du monde et de la civilisation. Toujours est-il que pour l’utilisation de chacun des X, la carte est nécessaire. Elle permet de donner une vision globale du monde pour l’exploration, de définir des endroits stratégiques vers lesquels étendre sa civilisation, de fournir d’un simple coup d’œil les informations sur les ressources à exploiter et offre une vue d’ensemble pour planifier des raids et des guerres contre ses voisins. Pour remplir toutes ces fonctions, la carte que présente ce type de jeu doit être assez réaliste pour permettre une certaine immersion mais aussi simplifiée pour être comprise rapidement par le joueur. Ainsi, le jeu Civilisation VI opte pour des couleurs plus vives et plus tranchées que les précédents opus et adopte une représentation plus ‘cartoon‘ pour montrer sans avoir à faire figurer plein de détails. Depuis les premiers jeux 4X, de nombreux progrès ont été accomplis pour complexifier les interactions possibles avec le monde et les autres joueurs quand il ne s’agit pas d’I.A. mais, à mon goût, le principal apport a été le passage de cases carrées à des hexagones. Celles-ci permettent de mieux encercler l’ennemi, de penser de nouvelles stratégies de gestion et d’aménagement. On peut toutefois regretter que les jeux de stratégie se basant sur l’espace ne tirent pas vraiment parti de la profondeur de la troisième dimension.
Si certains jeux 4X proposent de jouer sur des régions, voire des continents, existants bel et bien, d’autres préfèrent une gestion procédurale de leur monde afin que les parties soient les plus diversifiées possibles. Pour satisfaire un maximum de joueurs, des jeux comme les Civilisation optent pour deux modes de jeu solo. Le premier est relativement scénarisé en proposant des trames historiques réelles au sein desquelles le joueur peut déployer ses propres stratégies. On y retrouve entre autres la conquête de l’Angleterre par les Normands et les Norvégiens, la conquête du Nouveau Monde, les querelles intestines au sein de l’Amérique centrale, la chute de l’Empire romain, les invasions japonaises en Corée et de très -très- nombreux autres scénarios sont disponibles, uniques pour chaque volet de la saga. En revanche, si le joueur préfère être plongé dans le grand inconnu, il peut choisir de jouer sur une carte générée aléatoirement en fonction de principes bien délimités par les développeurs. Quel que soit le mode de jeu, l’enjeu est le même : tirer au maximum les capacités de la représentation cartographique pour plonger le joueur dans un univers qu’il peut façonner selon son envie et ses stratégies. Dans tous les cas, la carte est une traduction graphique d’enjeux politiques, économiques, culturels dont le but est de mieux faire ressentir le monde au joueur. Ce monde peut être appréhendé de diverses manières au fil de l’aventure : favoriser tour à tour chacun des quatre X . Aussi, l’exploration peut être récompensée par des bonus quand on trouve un endroit spécifique ou simplement permettre la disparition du brouillard de guerre pour mieux connaître les environs . L’utilisation du mode procédural permet dans certains jeux de renforcer la tension et l’angoisse comme dans Sunless Sea (2015) où le joueur, perdu dans l’obscurité, doit trouver des îles, en faisant attention aux réserves de carburant et aux ressources de son navire mais aussi à la jauge de terreur qui se remplit graduellement si on s’éloigne trop des côtes. Une carte préconstruite n’aurait pas eu grand intérêt puisque les joueurs finiraient, au fil des parties, par se repérer sans avoir le besoin d’explorer.


La Terra Incognita
Dans beaucoup, sinon la totalité, de jeux équipés d’une carte, le but est d’accéder à un ailleurs. Celui-ci est promis comme plus intéressant, riche, mais aussi plus dangereux et hostile que la zone de départ. Cet ailleurs, s’il n’est pas montré par un blanc ou un brouillard de guerre est souvent nommé, et ce nom joue beaucoup dans l’envie que l’on a d’aller l’explorer. Pour faire rêver l’explorateur en nous, les noms mêlent parfois des consonnances exotiques et des symboles. Peut-être serez-vous tenté par Diamond City (Fallout 4), le Temple of Time (Maple) ou la ville en hauteur Solitude (Skyrim). Depuis le XVI° siècle qui marque le début des explorations des Amériques à la fin du XIX° et l’achèvement de la cartographie de l’Afrique centrale, des explorateurs européens ont cherché à repousser les limites du monde connu, à la recherche de la Terra Incognita. Sur les vieilles cartes apparaissaient parfois des monstres marins, mais aussi des aberrations humaines pour signifier que les terres éloignées étaient différentes d’ici. Aussi, de temps à autres trouve-t-on la mention hic sunt leones et sa variante hic sunt dracone pour indiquer des contrées sauvages et inexplorées. Le jeu-vidéo procède de ce même appel à l’imaginaire pour inciter le joueur à s’aventurer toujours plus profondément dans le monde proposé. Ubisoft a développé le principe des tours d’observation pour permettre au joueur de mieux repérer les points d’intérêt. Dans la série Asssassin’s Creed, par exemple, escalader le point le plus haut d’une zone permet de faire figurer sur la carte tout ce qui peut être important : donneurs de quêtes, missions annexes, lieux de chasse, marchands… On peut toutefois se questionner sur la véritable utilité de tels repères. Certes, on sait où aller, on peut mieux se repérer et éviter les détours mais cela tue, en quelque sorte, le principe même de la Terra Incognita qui réside dans l’exploration de l’inconnu, dans la fierté de trouver par soi-même des trésors ou des lieux cachés. L’orgie d’icônes qui s’affiche sur la carte tue tout cela en donnant directement les informations.

D’autres jeux ont une approche plus pertinente de la Terra Incognita. Sunless Sea (2015) nous laisse aux commandes d’un bateau à vapeur avec pour mission d’explorer au maximum une mer souterraine dont la répartition des îles est majoritairement procédurale, c’est-à-dire aléatoire. Le jeu est assez avare en information et la localisation des îles peut parfois se révéler compliquée, surtout quand on arrive à court de combustible ou de vivres. La génération procédurale et l’obscurité dans laquelle le joueur évolue rendent l’exploration à la fois grisante et angoissante. On se sent véritablement partir à l’aventure. L’exploration est par ailleurs récompensée, car pour chaque port visité, on peut récupérer des informations que l’on peut revendre ensuite à l’amirauté. Dès les premières expéditions, le jeu met la pression : on doit livrer une marchandise illégale à une île dont -bien sûr!- on ignore la position. Si l’on revient au port de départ, on ne manquera pas de tomber sur les douanes qui nous prendront la marchandises sans possibilité de la récupérer. Explorer ou perdre, le choix est vite vu. Sunless Sea n’est pas le seul jeu à avoir développé une vision intéressante de la Terra Incognita. Dans la version pré-alpha d’un des jeux S.T.A.L.K.E.R. (2007-2009) il était possible de traverser la Zone en véhicules. Pourtant, les développeurs ont choisi de les retirer pour forcer le joueur à arpenter les différents espaces en prenant son temps, en faisant des détours pour éviter les mutants et les anomalies. Le but était ici de pleinement faire vivre au joueur l’expérience de la Zone, de lui interdire la simplicité et de le forcer à faire face à des situations non-prévues, ce qui aurait été impossible avec un véhicule qui permet de relier directement le point A au point B. Dans la trilogie S.T.A.L.K.E.R. (et, espérons, bientôt la tétralogie !) le joueur est plongé en permanence au sein de la Terra Incognita et la traverser de part en part en quelques minutes sans prendre le temps de l’explorer à fond n’aurait pas de sens, surtout qu’elle regorge de danger mais aussi d’artefacts variés, de caches d’armes et d’objets divers.
death Stranding (2020) pose un regard nouveau sur le concept même de Terra Incognita. Dans ce jeu post-apocalyptique, on incarne Sam Porter qui doit arpenter les Etats-Unis redevenus sauvages après l’effondrement des différentes civilisations. Le jeu, contrairement à la grande majorité des autres titres, ne propose pas de s’aventurer sur des terres étrangères pour les exploiter ou les spolier mais au contraire, de traverser de grands espaces vierges dans le but de les reconnecter, de refaire jaillir une civilisation depuis la multitude d’avant-postes isolés les uns des autres. Le territoire est connu d’avance, on reconnaît les Etats-Unis quand on ouvre la carte et l’épopée de Sam s’apparente beaucoup à une conquête de l’Ouest. Ce qui apporte du nouveau, c’est que le joueur n’a souvent aucun intérêt à suivre le chemin indiqué sur sa carte ou le passage le plus court. Au contraire, on est souvent amené à dévier de notre chemin pour emprunter des endroits moins escarpés, moins dangereux. De plus, les marchandises perdues par les autres joueurs peuvent être récupérées et apportées à destination. Autant de raisons pour dévier du chemin initialement prévu et explorer les larges étendues. Parfois, c’est la pluie, mortelle, qui nous pousse à abréger notre escapade pour chercher un refuge. D’autres fois, ce seront les MULEs qui vont nous pourchasser, ou bien des entités de la grève. Le jeu a beaucoup divisé parce que certains lui ont reproché des phases de marche trop longues et monotones. Néanmoins, pour ma part, je pense qu’il y a un véritable plaisir de l’observateur, de celui qui s’intéresse au monde qu’il visite et qui prête attention aux voitures abandonnées, quasiment invisibles parce que recouvertes de mousses ou aux ruines, qui parsèment ici et là le paysage. Ce sont autant d’invitations à la digression, à l’égarement et à la découverte d’un monde que l’on pense connaître.
La carte et le labyrinthe

Si la carte est bien nécessaire, c’est dans le jeux sous forme de donjons. La carte permet de ne pas se perdre dans le dédale obscure. Des jeux comme Pokémon Donjon Mystère (2005-2020) ou The Crypt of the Necrodancer (2015) ont beaucoup recours à la carte. Dans la version Explorateurs du Temps/De L’ombre, la carte était habilement utilisée en tirant parti des deux écrans de la Nintendo DS : l’écran tactile affichait l’interface principale tandis que l’écran supérieur était consacré à la carte qui se dessinait au fur et à mesure que l’on arpentait les différents étages du donjon. Avec cette conception de l’espace, on peut avoir accès à la carte en temps réel sans avoir à mettre le jeu en pause. The Crypt of the Necrodancer ( vous y avez déjà joué ? Non ? Allez le faire !) pense aussi la carte comme un élément évolutif, qui se dessine pendant les errances endiablées du joueur. Ce qui est assez unique dans ce jeu, c’est que les murs qui délimitent les salles ne marquent pas toujours la fin de l’espace de jeu comme c’est habituellement le cas. Ici, il est possible de creuser les murs pour avoir accès plus facilement aux salles, voire d’atteindre des endroits « inaccessibles ». Cette possibilité, associée à la nécessité de garder le rythme pour effectuer des combos rénove en permanence le gameplay ! On peut moduler le terrain en fonction de l’ennemi et du tempo, ce qui multiplie à chaque mesure les possibilités d’action. De manière plus générale, les jeux d’exploration de donjons et la carte vont de pair. Mais loin de tout révéler, ces cartes se forment au cours de l’exploration et une tension s’installe chez le joueur. La tension entre la capacité de quitter le niveau le plus rapidement possible et le désir de combler tous les blancs de la carte; autrement dit, de tout explorer pour tenter de trouver un plus grand butin au risque de tout perdre. Dans The Crypt of the Necrodancer, si le joueur met trop de temps dans un niveau et explore trop, un dragon surpuissant finit par apparaître pour chasser le joueur. Hollow Knight propose une nouvelle approche de la carte au sein du donjon : elle n’est pas donnée dès le début. C’est au joueur d’acheter les différents fragments de cartes auprès d’un cartographe errant, souvent bien caché dans le décor. L’acheter est un véritable enjeu car, sans la carte, il est très difficile de se repérer dans le labyrinthe des boyaux souterrains. De l’autre côté, le prix des cartes augmente en fonction de la zone. Il faut donc non seulement trouver le vendeur, mais aussi avoir d’argent pour acheter ! Si le joueur néophyte espère que le problème des cartes va s’arrêter là, qu’il se détrompe ! Même une fois une carte en votre possession, celle-ci reste en très grande partie vierge. Il faut acheter, à Dirthmouth, un item qui s’appelle ‘ Carte et Plume’. Armé de cet objet, le joueur va pouvoir librement explorer le monde qui l’entoure. A chaque sauvegarde sur un banc, la carte se mettra à jour et naviguer entre les différentes zones s’avérera chose plus simple. Pour renforcer l’angoisse de l’exploration et la possibilité d’une mauvaise rencontre, la plupart des donjons sont générés de manière procédurale, on ne peut donc pas appliquer une carte préconstruite.

Certains jeux offrent la possibilité de pouvoir annoter la carte pour y ajouter ses propres éléments. Parfois ce sont des pins que l’on peut mettre (Hollow Knight) mais d’autres vont plus loin et le joueur peut écrire sur la carte. Ces deux techniques sont très importantes car elles permettent au joueur de s’approprier l’espace de jeu. Cette mécanique de jeu est très intéressante quand elle est utilisée dans un metroidvania, on peut alors marquer des endroits que l’on a repérés mais où l’on ne peut pas encore se rendre. La marque est ainsi une balise temporelle, un rappel qu’il faudra revenir plus tard, avec la bonne compétence. Pouvoir annoter, ou plutôt devrais-je dire « personnaliser », la carte permet de battre en brèche l’idée que dès que l’on a une carte, tout est donné. Dans ce cas-ci, au contraire, avoir la carte ne signifie pas avoir accès à tous les secrets, le joueur doit mener sa petite enquête. D’ailleurs, il faut signaler un type de carte dont la force réside dans son incomplétude : la carte au trésor . Volontairement incomplète, elle vise à simplement indiquer un endroit précis mais pas ce qui l’entoure. De cette manière, le joueur possède un but mais ne connaît pas totalement le chemin pour y parvenir. La carte au trésor peut être vue comme la plus grande réussite de l’invitation à l’exploration tout en indiquant un lieu à atteindre. Avec ce principe, prendre une multitude de détours ne sera que plus croustillant !
Vers un abandon progressif de la carte ?
La carte est certes très utile pour se repérer et se diriger sans se perdre mais elle n’est pas exempte de tout reproche. Son utilisation est souvent extradiégétique, c’est-à-dire que la carte n’est directement incluse dans le jeu. Bien souvent, il faut avoir recours au menu pause pour y avoir accès, ce qui segmente l’action. Dans d’autres jeux, la présence d’une flèche au-dessus de la tête du personnage jouable apparaît comme encore plus grotesque à une époque qui mise tout sur l’immersion et la transparence de l’interface. On peut noter tout de même qu’un certain nombre de jeux cherchent à intégrer la carte au leur sein. Par exemple Minecraft (2011) ne propose au début aucune carte pour arpenter son monde gigantesque, c’est au joueur de la fabriquer. Et même une fois fabriquée, la carte restera vierge tant qu’elle ne sera pas emmenée dans les endroits à cartographier. De plus, la carte fabriquée ne correspond qu’à une infime portion du monde : il faut en combiner plusieurs pour espérer pouvoir s’aventurer loin de sa base sans se perdre. Ce jeu n’est pas le seul à vouloir implanter la carte dans l’expérience vidéoludique. Dans les essais plutôt réussis, on peut citer Tom Clancy’s : The Division (2016) qui a eu la bonne idée de présenter la carte sous forme d’hologramme projetable sur le sol, ce qui renforce la cohérence mais aussi l’ambiance, où le joueur a souvent recours à des gadgets dans les combats. Par ailleurs, la carte est transparente, ce qui ne coupe pas le joueur du jeu mais apparaît comme une interface superposée à une autre. La carte de The Division est à la fois simplifiée pour ne pas être indigeste mais aussi suffisamment complexe pour que le joueur puisse faire la différence entre les zones, les quartiers, les rues… Tout cela pour dire que la carte n’est pas un élément blâmable en soi mais que sa mauvaise utilisation à tendance à parfois sacrifier l’immersion. Heureusement, certains jeux tentent, avec plus ou moins de réussite de concilier les deux.

Si la plupart des jeux ont une carte, il peut être intéressant de guider le joueur sans que ce dernier n’ait à l’utliser en permanence. Le récent Ghost of Tsushima ( 2020) exploite le thème de l’appartenance à un sol face à une invasion étrangère en utilisant les éléments du paysage pour guider le joueur. Ainsi, quand on joue, on a l’impression de ne faire qu’un avec la terre japonaise. Si le joueur a accès à une carte, il n’a pas besoin de l’utiliser en permanence : il suffit de poser une balise pour que le vent se mette à souffler dans la direction du point utilisé. En fonction des endroits, ce peuvent être les plantes qui sont bercées par la brise, les feuilles d’une forêt qui sont emportées ou encore les rides sur l’eau qui nous indiquent la direction. Si le joueur ne touche à aucun bouton, le personnage du jeu peut avoir une animation où il attrape une feuille et la laisse planer dans les airs, un moyen simple et marquant d’indiquer la direction à suivre tout en évoquant l’osmose de la nature et de Jin. Comme pour radicaliser l’idée, Subnautica ( 2014), ne propose aucune carte dans le jeu. En revanche, il est possible de poser des balises qui apparaissent sur l’écran de jeu. Ainsi, on peut marquer les entrées vers les profondeurs, les biomes intéressants, mais aussi les bases du joueur. Ces balises peuvent être nommées et leur couleur modifiée : il est tout à fait possible de créer un ingénieux système pour se repérer parmi les nombreuses balises que l’on est amené à déposer au cours de l’aventure. Par ailleurs, sans utiliser beaucoup de ces objets, certains joueurs ont recours à la triangulation. Cela consiste à placer trois balises éloignées les unes des autres et de calculer la position du joueur en fonction de la distance à laquelle il est par rapport aux balises. Néanmoins, quelques jeux ne proposent ni carte, ni balise. Aussi, dans la tétralogie de Souls-borne ( 2011-2016), c’est au joueur de savoir se repérer dans le jeu, y compris dans des espaces dans lesquels se perdre est choses facile (souterrains, égouts, marais…). Mais le jeu ne lâche pas complètement le joueur et il est possible de débloquer des raccourcis grâce à une construction de l’espace de jeu très bien pensée. Sans avoir à revenir sur ses pas, le joueur peut arriver à son point de départ par un chemin à débloquer, lui permettant de mieux repartir ensuite. Cette méthode pousse les joueurs à concevoir leur propre carte du monde, mais permet aussi de tisser une logique entre les différentes zones qui sont toutes interconnectées.

Comme on l’a vu, si la carte est élément récurrent dans les jeux-vidéos, elle n’en n’est pas pourtant une composante intrinsèque. Un certains nombre arrivent à s’en passer ou trouvent des astuces pour la remplacer. J’aimerais terminer cette partie par deux jeux, ou plutôt deux expériences vidéoludiques assez incomparables et hors-norme : In Other Waters (2020) et NaissanceE (2014). Dans le premier, le joueur incarne une intelligence artificielle intégrée dans le scaphandre d’une xénobiologiste qui arrive sur une nouvelle planète. Le joueur doit alors gérer les réserves d’oxygène, l’inventaire mais aussi les déplacements de la scientifique. L’interface du jeu se présente comme une carte interactive avec des points qui indiquent les endroits où l’on peut se rendre, les bancs de poissons et de bactéries, un code couleur pour chaque zone etc.… Le jeu réussit parfaitement l’immersion avec des interactions instinctives et une représentation très graphique de l’environnement souvent suggéré par des points ou de simples traits. On évolue littéralement dans une carte. La carte réussit à se faire tout autant présente qu’absente. Présente parce qu’elle est partout sur l’écran mais aussi absente parce qu’on finit par ne plus la voir, elle devient un espace de jeu comme un autre. Ce jeu réussit avec une efficacité déroutante à nous faire plonger au cœur même d’une carte sans que cela paraisse artificiel comme c’est trop souvent le cas avec les jeux 4X. Avec une conception épurée, la carte ne cherche plus à renvoyer à quelque chose de visible mais à signifier : tout devient presque abstrait. A l’opposé de ce jeu-carte, on trouve NaissanceE, qui ne s’est véritablement fait connaître qu’au début de 2021. Le jeu brille par son obscurité : tout en contraste de blanc et de noir, le jeu nous plonge dans un vaste monde avec pour simple but de trouver la sortie de cette super-ville abandonnée. Tout frôle l’impossible, qu’il s’agisse de la profondeur de champ, les ténèbres qui semblent interminables ou encore les gouffres, nombreux et sans fin. Le jeu donne le tournis tant tout paraît démentiel, on est perdu dans cet environnement dont on sait rien et dont on ne comprend pas grand-chose. Le jeu s’inscrit à rebours de la mode des mondes ouverts car sans carte disponibles, c’est au joueur de devoir essayer tous les passages possibles jusqu’à trouver le bon pour finir le jeu. Celui-ci fait beaucoup penser au manga Blame! de Tsutomu Nihei dans lequel on suit l’épopée de Killy, perdu dans une cyber-ville abandonnée dont la taille dépasse l’imagination le plus folle. Bien que le créateur du jeu affirme ne pas avoir connu les aventures de Killy avant la sortie de son jeu, on peut toutefois appliquer à NaissanceE une phrase que Nihei employa pour son manga : il voulait représenter ce que ressentirait une fourmi dans un immeuble. Que ce soit le manga ou le jeu, le pari est réussi ! A travers ces deux extrêmes que représentent In Other Waters et NaissanceE, j’ai voulu mettre en évidence que la carte n’est ni bonne ni mauvaise, c’est seulement un outil, à chaque jeu d’en tirer le meilleur parti !





Conclusion
Avant d’écrire la moindre ligne, le célèbre écrivain Tolkien commençait par faire une carte du monde dans lequel va se dérouler l’action. Il en va de même pour bon nombre de jeux-vidéos qui sont basés sur l’agencement précis d’un monde, réel ou fictif dont il convient à la fois de montrer l’unité et la logique mais aussi de faire valoir la grande diversité. La carte, quand elle est présente, doit signifier quelque chose, renseigner sur l’environnement mais aussi sur l’histoire, l’économie, le climat… Et quand elle est absente, le monde dans lequel le joueur évolue doit être suffisamment évocateur et logique pour s’y repérer. Pour les prochaines décennies, la question de la carte risque de devenir un enjeu assez important dans le monde du jeu-vidéo au fur et à mesure que les espaces de jeu sont plus vastes, verticaux, complexes. Il y a fort à parier que les cartes telles que nous les connaissons se fassent de plus en plus rares pour laisser la place à de nouvelles conceptions de représentation de l’espace. A voir !
Faire des cartes est tout un art ! Il ne suffit pas de disposer des éléments aléatoirement pour former un espace. Dans le cadre d’un jeu-vidéo, il faut que l’espace puisse être segmenté en zones avec chacune une ambiance particulière pour faire varier les plaisirs mais aussi une logique qui permette de comprendre la façon dont le monde est agencé. Le vidéaste youtubeur WASD20 s’est spécialisé dans la vulgarisation cartographique et explique en long et en large comment procéder pour réaliser une carte intéressante pour un jeu-vidéo/jeu de rôles. Il aborde la question de l’échelle, des icônes, de la forme des cours d’eau, des chaines de montagnes entre autres. Pour réaliser ses vidéos, il se base sur des règles qui régissent véritablement notre monde mais n’exclut pas la présence possible du fantastique ou de la magie. Sans avoir à regarder toutes ses vidéos (bien que cela vaille vraiment le coup !), on se rend compte que les développeurs doivent penser en profondeur leur univers car rien ne doit et ne peut être laissé au hasard. Il faut un travail énorme pour que le monde que l’on crée ne paraisse pas artificiel.